Cependant, certains anniversaires s’oublient... Ainsi, il y a quatre ans, en juin 2017, nous fêtions les 70 ans des CEMÉA, alors que l’association en avait déjà septante et un ! Et personne ne se souvient avec précision de la date des toutes premières plaines de vacances à Watermael-Boitsfort, du premier séjour d’intégration de Juseret, ou des premières formations spécifiques pour les professionnel-le-s de la petite enfance...

En effet, peu nombreux-ses sont les candidat-e-s prêt-e-s à se plonger dans les archives poussiéreuses du grenier de la permanence bruxelloise pour retrouver ces dates anniversaires et pour fixer les 40 ans de notre présence à Watermael, la 20 e édition du centre d’intégration de Juseret ou les 40 ans des formations Petite Enfance.

Dans ce numéro, IMPULSIONS vous propose toutefois de fêter un espace de formation que nous avons investi voilà tout juste 25 ans : l’insertion socioprofessionnelle (ISP), aussi dénommée « la formation qualifiante ». L’occasion de pouvoir retracer l’histoire de cette action particulière, qui mobilise de plus en plus de participant-e-s et dont le nombre de journées de formation, de contenus abordés et de partenaires de terrain n’a cessé de croître au fil des années.

Commençons par le début... En 1991, un incident lors d’un contrôle policier déclenchait à Forest (commune de la région bruxelloise) trois nuits d’émeutes et de violence. Cet évènement fit prendre conscience au monde politique que délaisser totalement une partie de la population n’était pas une manière d’envisager « la gestion de la ville ». C’est ce que les journalistes dénommeront « un électrochoc » pour la classe politique. Il en découlera quelques initiatives politiques, comme le Fonds d’impulsion à la politique des immigrés - F.I.P.I.- (1991), les Contrats de Sécurité et de Prévention (1992) et, plus tard, la Politique des Grandes Villes - PGV - (1998). Certaines communes font à l’époque le choix de la « sécurité », tandis que d’autres développent davantage l’aspect « préventif » et optent pour l’instauration de Maisons de Quartier, de Maisons de Jeunes, de programmes d’éducateurs-éducatrices de rue...

Dans ce contexte, nous assistons aux CEMÉA à l’arrivée en formation de nouveaux publics. En effet, plusieurs communes bruxelloises ayant opté pour la prévention, soutiennent et financent des formations d’animateurs-animatrices à destination des habitant-e-s de leurs quartiers, dans la perspective qu’ils elles y travaillent ensuite comme bénévoles, prestataires ou contractuel-le-s, dans leurs plaines de vacances ou dans leurs Maisons de Quartier. L’équipe permanente des CEMÉA, bien aidée par la fine connaissance du milieu associatif de son directeur Rudi Gits, prend alors contact avec plusieurs partenaires communaux-ales, afin de concevoir la mise en place d’une formation professionnelle spécifique.

Si les prémices d’une formation qualifiante se dessinent un temps avec la commune de Schaerbeek, c’est finalement Molenbeek- Saint-Jean qui devient le tout premier opérateur d’une « formation qualifiante pour animateur-animatrice de rue et de quartier » en collaboration avec l’association paracommunale Lutte contre l’Exclusion Sociale (la « LES asbl », devenue « MoVe asbl » depuis). Il ne manquait plus que de pouvoir associer au projet les acteurs et actrices du secteur de l’emploi (Actiris et Bruxelles-Formation) pour qu’en juillet 1996, douze Bruxellois-es puissent entamer la toute première formation qualifiante avec les CEMÉA, l’opérateur principal de cette formation étant la Mission Locale pour l’emploi de Molenbeek et les CEMÉA devenant l’opérateur de formation et l’un des partenaires du dispositif. Après trois ans d’expérience, les CEMÉA reprendront le rôle d’opérateur principal, en maintenant le partenariat avec la Mission Locale de Molenbeek.

Durant les premières années, vu le nombre restreint du groupe, la formation qualifiante commençait début juillet par une formation de base résidentielle où se côtoyaient douze participant-e-s et des futur-e-s animateurs-animatrices volontaires. Les participant-e-s de la formation qualifiante partaient ensuite en formation pratique dans les plaines de vacances de la commune de Molenbeek durant l’été. Puis, ils-elles vivaient plusieurs modules de formation qui concluaient leur parcours : toute cette première étape débouchait sur le « brevet d’animateur-animatrice de centres de vacances », reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles (« la Communauté française » à l’époque). S’en suivait une seconde étape de formation, organisée de mi-septembre à fin novembre, qui concernait la spécificité du travail de rue ou de quartier et qui démarrait aussi par un temps de formation résidentielle.

Annie Roggen, formatrice permanente aux CEMÉA et Salvatore Di Martino (Salva), éducateur spécialisé, ont été parmi les chevilles ouvrières de la formation qualifiante à l’époque. Interviewé pour préparer cette rubrique, Salva évoque l’importance de la formation résidentielle en ces termes : « Il faut se rendre compte que si les participant-e-s font la fête le soir, ils-elles doivent assumer le lendemain matin face aux jeunes. C’est là l’acquisition d’une posture professionnelle. » Et Annie d’ajouter : « Cette formation résidentielle, c’est aussi pour que les participant-e-s acquièrent une certaine assurance et comprennent qu’ils-elles ont plein de possibilités pour agir par la parole, mais aussi en utilisant d’autres modes d’expression dans la vie des groupes. »

Une réponse régulière de Salva a été évoquée pour cet article, aussi bien par lui-même que par d’ancien-ne-s participant-e-s. Dès qu’un-e participant-e venait lui soumettre une envie, un besoin, une demande, Salva lui répondait : « Au nom de qui, au nom de quoi tu interviens ? Est-ce ta demande, ton envie, celle d’un groupe, celle du groupe ? » Une autre « réponse-question » d’Annie, suite au même type de demandes, fait aussi partie des souvenirs des participant-e-s : «  Quel est votre projet ? Est-il commun ? Avez-vous suffisamment échangé pour le définir ?  ».

Cette partie de la formation spécifique à l’animation de rue se prolongeait par plusieurs modules autour de la connaissance du quartier, de la pratique du théâtre ou d’activités de création et de communication... Lors de certains modules, l’équipe faisait appel à des intervenant-e-s extérieur-e-s, issu-e-s d’associations, de Maisons de Quartier ou d’écoles de devoirs. D’autres modules permettaient aux participant-e-s d’aller visiter des institutions et de découvrir le travail de certain-e-s partenaires : du MRAX à Infor Jeunes, en passant par une Maison de Quartier particulière... Les participant-e-s vivaient aussi un temps d’immersion plus long, de trois semaines, dans une des Maisons de Quartier de la commune de Molenbeek.

La formation se terminait par un temps d’échanges, de réflexion et d’évaluation sur l’ensemble du dispositif, où chacun-e exprimait son vécu, son évolution et ses perspectives. La formation débouchait ainsi sur une réelle qualification, reconnaissant le parcours accompli. Ce qui était fondamental. En effet, beaucoup de participant-e-s avaient des parcours scolaires complexes, parfois difficiles, leur ayant fait perdre beaucoup d’estime de soi : cette qualification, et la reconnaissance à travers elle de leur personne et de leurs compétences, était donc primordiale dans le projet.

Après huit années de cette formule, en 2004, c’est une autre commune bruxelloise, Ixelles, qui a contacté les CEMÉA pour l’organisation d’une deuxième formation qualifiante. La demande s’inscrivait elle aussi dans une actualité. En effet, en 2003, un nouveau décret venait de modifier l’organisation liéeau domaine de l’extrascolaire, avec l’instauration du secteur de l’Accueil Temps Libre (ATL). La commune d’Ixelles faisait à l’époque le constat que recruter du personnel qualifié pour les fonctions d’accueillant-e-s dans ses écoles n’était pas chose simple et a ainsi proposé une collaboration entre sa Mission Locale et les CEMÉA autour d’une formation à l’accueil extrascolaire. Ce nouveau partenariat va ouvrir le champ de la formation qualifiante. Là où l’ensemble des terrains de formations pratiques concernaient exclusivement les plaines communales et Maisons de Quartier molenbeekoises, les lieux de pratique vont désormais se diversifier : d’abord dans les deux communes d’Ixelles et Molenbeek, ensuite dans l’ensemble de la Région bruxelloise.

L’ajout d’une filière extrascolaire a aussi été synonyme d’augmentation de l’offre de formation, puisque 34 participant-e-s se sont dès lors réparti-e-s entre les deux parcours. Cette augmentation du nombre de participant-e-s a eu comme conséquence qu’ils-elles ne commencent plus leur parcours en juillet par une formation de base d’animateur-animatrice « libre » avec d’autres personnes, mais qu’une formation de base résidentielle spécifique débute dès la fin du mois de juin.

Progressivement, la collaboration avec les deux Missions Locales s’est renforcée. Un moment de travail préliminaire d’un mois appelé « détermination ciblée » a ainsi été mis en place par ces deux partenaires, permettant aux candidats et candidates de clarifier leur projet tout en les préparant à entrer dans le parcours complet de la formation qualifiante.

La dernière évolution structurelle de la formation date de 2020, avec la séparation des deux filières de formation. En effet, les deux parcours n’ont plus d’espace commun et sont indépendants l’un de l’autre. D’une part, la formation pour les « animateurs-animatrices socioculturel-le-s », moins focalisée sur le travail de Maison de Quartier qu’auparavant, débute en juillet et se déroule jusqu’en décembre. D’autre part, la formation pour les « animateurs- animatrices extrascolaires » se déroule de janvier à juillet. Cette nouvelle transformation du dispositif a permis d’augmenter encore un peu le nombre de participant-e-s à une quarantaine de personnes.

* Insertion socioprofessionnelle

Un article du groupe Formation Qualifiante, formation-qualifiante cemea.be, écrit au départ des témoignages d’Annie, Farida, Fred, Razi, Salva et Stéphanie.

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