Veille de confinement et invité-e-s de marque
Le 14 mars 2020, alors que toute la planète s’apprête à se confiner, Donald Trump, alors Président des États-Unis organise dans le bureau ovale la toute dernière réunion avant le confinement généralisé, avant de fermer les portes de la Maison-Blanche. Cette réunion ne rassemble pas des virologues, des médecins, des spécialistes de la gestion hospitalière ou scolaire, des expert-e-s de ce qui deviendra dans la semaine suivante « les services essentiels », non. Alors que la plus grande crise sanitaire est à nos portes, le Président des États-Unis accueille à la Maison-Blanche les grands patrons des GAFAM, les grands manitous de notre numérique mondial.

Sortie de confinement et VIP
Le 14 septembre 2020, c’est à Paris que cela se déroule. Le palais de l’Élysée réouvre pour la toute première fois depuis six mois de confinement pour y accueillir une réunion. Nous nous attendons toutes-tous à ce qu’Emmanuel Macron, Président de la République française, en vienne à rouvrir son palais pour une noble cause : remercier le personnel infirmier sur le pont et exténué après six mois de combat quotidien contre le virus, recevoir les virologues et chercheur-euse-s proches de nous délivrer un vaccin pour évoquer avec elles-eux une prochaine sortie de crise, accueillir tous-toutes ceux et celles qui ont œuvré dans les services et commerces « essentiels » qui nous ont permis de continuer à vivre à peu près normalement… Eh bien non, là encore. Emmanuel Macron rouvre les portes de l’Élysée pour parler numérique, 5G et Internet des objets avec les grands manitous européens du logiciel propriétaire.

Chacun-e ses urgences – «  inévitabilisme » VS politique
Que nous disent ces deux faits de notre rapport démocratique aux GAFAM ? Y a-t-il d’autres choix pour nos gouvernements que de suivre l’agenda qui leur est dicté par les principaux acteurs du numérique mondial ? Ces deux choix de la part de Donald Trump et d’Emmanuel Macron de faire une telle place à l’industrie numérique dans des instants d’urgence nous inquiètent et en disent long sur le pouvoir qu’engendre le capitalisme de surveillance. Nous pouvons y voir un certain fatalisme de l’imposition des choix de société qu’implique l’importance des GAFAM. Shoshana Zuboff dans son livre "L’Âge du capitalisme de surveillance" (2020) parle d’une idéologie liée au numérique qu’elle dénomme « inévitabilisme ». Il n’y aurait pas d’autre manière d’entrevoir l’avenir de nos sociétés que celle d’une société de la surveillance et de la prédiction maximale de nos comportements pour minimiser les risques de nos assureurs, pour maximiser le travail des spécialistes du marketing, pour que l’ensemble des données collectées sur chacun-e d’entre-nous permette une société orwellienne où plus rien ne serait inattendu dans nos comportements.

Nous identifions particulièrement cet « inévitabilisme » dans la manière dont les pouvoirs politiques, sous le poids des lobbyistes des GAFAM, communiquent à propos de l’implantation de la 5G. L’évolution vers cette nouvelle technologie serait inévitable alors que la 4G répond parfaitement aux besoins actuels et que l’évolution préconisée n’est là que pour développer l’Internet des objets. Une évolution visiblement urgente au regard de cette réunion du 14/09/20.

« Connecting people »
Car, dans le même ouvrage, Shoshana Zuboff explique que les GAFAM sont confrontés à une limite actuelle de leur système. Le capitalisme de surveillance se nourrit de nos données, souvent privées, que nous leur fournissons parfois volontairement sur les réseaux sociaux, mais bien plus souvent en l’ignorant complètement par le seul usage de nos ordinateurs, smartphones, tablettes… Cependant cette collecte arrive tout doucement à une limite, même si tout est fait pour que nous soyons le plus souvent connecté-e-s, il reste beaucoup trop de temps où ne nous le sommes pas. Shoshana Zuboff nous explique dès lors qu’il faut aux GAFAM développer nos besoins d’objets connectés : montres connectéeS fournissant des données de localisation et de santé, voitures connectées pour pomper nos données de géolocalisation, mais aussi toutes informations sur nos manières de conduire qui intéressent nos assurances, thermostats domestiques connectés qui vous permettent d’allumer notre chauffage à distance (c’est pratique) tout en permettant à d’autres de connaître notre consommation horaire bien plus précisément que ce que nous pourrions le dire… Auriez-vous imaginé quelqu’un-e, dans les premières années de ce siècle, installer une caméra dans son salon pour observer d’éventuels cambrioleurs quand il-elle est absent-e, tout en oubliant que si la caméra filme en son absence son salon, celle-ci le-la filme aussi en sa présence. Ce n’est pas tout, on nous prédit des éclairages connectés, des piluliers connectés, des poubelles connectées qui, si elles optimiseront notre tri de déchets, optimiseront surtout notre profil de consommation. Pour mieux le prédire, pour mieux le prescrire, avec de plus en plus de certitudes.

Avec les confinements, le numérique et la surveillance numérique se seront taillés une place de choix, VIP donc même, en témoigne cette réunion de septembre 2020. La crise sanitaire aura même sans doute eu des conséquences bénéfiques pour les GAFAM. Il nous est plus aisé aujourd’hui d’accepter voire de souhaiter que tout soit connecté ou développé pour l’être. Et même que toutes données soient partagées. Surtout si c’est « pour aider », pour « applatir la courbe »... La peur nous permet d’accepter beaucoup de choses.
En Belgique, nos opérateurs téléphoniques se sont par exemple proposés à ouvrir leurs bases de données aux autorités dès les premiers jours du confinement. Cela a permis au gouvernement de nous annoncer des pourcentages de population qui respectaient ou non le confinement strict dans les premiers mois de la pandémie. Ces pourcentages ne pouvaient être proposés par nos autorités que parce que votre activité était divulguée par la géolocalisation et le rercherche de wifi de votre téléphone…

Il est donc peut-être temps de sortir de ce solutionnisme numérique, de reprendre nos « libertés » pour que nos décideur-euse-s, qu’ils-elles soient à Washington, Paris ou Bruxelles, ne puissent nous vendre l’« inévitabilisme » des GAFAM comme le seul modèle de société possible. Que le pouvoir de décider ne soit pas absorbé par cette idéologie de l’inévitablité.

Et pour nous aux CEMÉA, cela passe par une utilisation numérique choisie et de plus en plus détachée des logiciels propriétaires dès que cela s’avère possible et militer pour que les priorités politiques à l’avenir ne soient peut-être plus celles qu’évoque cette troublante similitude.


photo : ilgmyzin-Xe21OFRpqvk on Unsplash

 
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