Du côté de Bétheny, près de Reims, le Congrès de l’ICEM arborait comme titre « Étudier son milieu pour agir sur le monde ». À Poitiers, le slogan des CEMÉA était « Éduquer, émanciper, agir les solidarités ». Agir semble donc bien le maître-mot des deux congrès et résonne comme une invitation voire une urgence !

Échos du Congrès de l’ICEM

Les Congrès de l’ICEM réunissent tous les deux ans entre 600 et 900 congressistes. Ils ont dès lors lieu, en général, dans de grandes universités pouvant accueillir un tel nombre de personnes. Tout était prévu pour qu’il en soit ainsi à l’université de Reims cette année. Sauf que le Covid est passé par là et que fin mars, toute l’organisation a dû être revue pour que le congrès puisse prendre place dans une grande école maternelle et primaire de la municipalité de Bétheny. Le contexte limitait donc l’accueil à seulement 400 personnes (dont in fine plus de 120 Belges).

Malgré tout, le fait de pouvoir enfin se retrouver dans un même élan pédagogique durant quatre jours a été porteur d’émotions à plus d’un titre. Une ouverture de congrès est toujours un moment particulier à vivre et ici, le choix des organisateurs et organisatrices de faire « parler Célestin Freinet » par l’entremise d’un enregistrement capté lors de son dernier congrès fut particulièrement engageant pour l’ensemble du
mouvement.

Ce congrès, pour nous CEMÉA, était aussi l’occasion de pouvoir partager pour la toute première fois l’exposition « Pédagogies actives : des fausses idées à déconstruire » et de voir la concrétisation de tout le travail d’écriture, de conception, de mise en valeur graphique, de construction... réalisé ces derniers mois par notre groupe École. Ce fut surtout agréable de découvrir que le défi de réaliser une exposition au départ du jeu des « fausses idées de la pédagogie active », en faisant le pari que les visiteurs-visiteuses puissent en être les acteurs-actrices de leur visite, fonctionnait ! Dans chacun des 6 espaces de l’exposition, les interactions sont riches et engagées, et les retours positifs sur la réalisation sont plutôt unanimes, que ce soit au niveau du contenu, du graphisme et des « petits plus » qui font l’expo !

Nous avons aussi pu participer à quelques ateliers autour de pratiques Freinet, mais aussi à des moments de rencontres et de débats plus philosophiques. Dans ce genre de rassemblement, ce sont aussi tous les temps plus informels, dans les couloirs ou lors des repas, qui permettent de « faire mouvement » ensemble.

À noter, l’organisation, nouvelle pour l’ICEM, d’un atelier permanent mené par une équipe regroupant une enseignante du maternel, du primaire, du secondaire, ainsi qu’un chercheur universitaire. Il-elles ont proposé durant l’entièreté du congrès des ateliers « à quatre voix » qui nous enjoignent à concevoir l’enseignement comme une continuité plutôt qu’un séquençage par âge et par matière.

Échos du Congrès des CEMÉA français à Poitiers

Un congrès plus que rythmé ! En effet, les conditions sanitaires, cumulées à un contexte économique étriqué, ont amputé le congrès d’une journée entière par rapport aux précédents... Mais l’équipe organisatrice voulait tout de même y mettre tous les ingrédients d’une telle rencontre : des enjeux sociétaux pour nourrir le projet national des CEMÉA en France (laïcité, ouverture sur le monde, lutte contre les discriminations, le temps des loisirs comme source d’émancipation et d’égalité, l’accès aux pratiques artistiques comme enjeu démocratique de la culture, la transition écologique et l’avenir de la planète...), des questionnements autour de la solidarité et de la démocratie au sein du réseau national des CEMÉA, des échanges de pratiques autour d’un recensement de 109 actions d’Éducation nouvelle (comprenez « sang neuf »), des pratiques et découvertes in situ, des conférences et tables rondes... Pointons une spécificité de cette édition : la « carte blanche aux chercheurs et chercheuses d’aujourd’hui ». Ce choix rappelle que les CEMÉA, depuis leur création, se sont intéressés à la recherche pour élaborer des démarches pédagogiques innovantes. Parrainée par l’Association des Enseignants Chercheurs en Sciences de l’Éducation (AECSE), cette démarche visait à (re)nouer et réaffirmer les liens entre le monde académique et celui de l’action associative.

Outre l’occasion de présenter l’actualité de la recherche sur l’Éducation nouvelle, l’Éducation populaire et les pédagogies actives, des ateliers animés par les chercheurs et les chercheuses ont été mis en place pour l’ensemble des congressistes. À l’ouverture du congrès, Philippe Meirieu, Président du Conseil d’Administration national des CEMÉA en France, a décrit1 sa rencontre avec les CEMÉA à l’occasion du Festival d’Avignon en 1966, alors qu’il était adolescent : «  J’ai découvert qu’il existait un autre modèle éducatif que celui que j’avais subi à l’école, un modèle construit sur l’accueil de chacune et de chacun plutôt que sur la mise en concurrence de toutes et tous.  » Voilà qui situe bien notre projet !

Plus tard, la maire Poitiers, Léonore Moncond’Huy, rappelait l’importance de l’éducation populaire et du champ associatif pour affronter, solidairement, les défis de notre société. Et à sa suite, Edwy Plenel, co-fondateur de Mediapart, a partagé ses analyses politiques du monde dans lequel nous agissons aujourd’hui... Parce que « on ne peut pas, dans la période actuelle, faire ce congrès comme s’il ne se passait rien !  ». Il a notamment évoqué l’avènement de démocraties autoritaires qui, pour pouvoir rester au pouvoir, se parent « d’alibis identitaires, d’une quête de boucs émissaires et la désignation de minorités qui dérangent ».

Ce congrès a aussi été l’occasion d’écouter le dernier discours de Jean-Luc Cazaillon en tant que Directeur Général des CEMÉA de France. Il le voulait secouant... Il était émouvant aussi. Il a interpellé les congressistes sous forme de questions :

  • Doit-on se résoudre à des luttes de résistance, le dos au mur, à des luttes sociétales sectorielles, parce que notre monde n’a plus de perspectives globales ?
  • Doit-on se résoudre à vivre, à militer dans le seul court terme, à l’ombre des tweets, des fakes news, des injonctions néolibérales agissant le repli de la liberté d’expression pour tendre vers la tyrannie de l’opinion ?
  • Doit-on se résoudre à essayer au quotidien de contribuer à réduire les inégalités économiques, sociales, culturelles, éducatives, face à des régimes politiques dont les actes contribuent à les creuser ?
  • Doit-on se résoudre à supporter les rejets vis-à-vis de la science, des connaissances et méthodes scientifiques, les rejets de l’humanisme et de la raison, la banalisation du complotisme et de l’obscurantisme ?
  • Doit-on se résoudre à subir des idéologies de divisions, de fragmentation de la société, d’opposition des uns contre les autres qui font le plus grand bonheur du capitalisme néo-libéral et de l’impérialisme qui ne sont alors plus les adversaires principaux ?
  • Doit-on renoncer, 50 ans après la création de la FICEMÉA à la dimension internationaliste et universaliste de l’Éducation nouvelle et des CEMÉA ?

La réponse à toutes ces questions est bien évidemment « non ». Il a ensuite resitué l’action des CEMÉA dans les perspectives de transformations sociales avec une volonté d’effectivité : « Nos démarches pédagogiques ne servent à rien sans articulation structurelle avec des acteurs institutionnels du changement. » Voilà un mot d’ordre pour agir dans l’action du terrain, mais aussi sur les cadres réglementaires et administratifs, sur les perspectives politiques.

C’est Jean-Baptiste Clerico qui a prononcé les mots de clôture du congrès en tant que nouveau Directeur Général, conscient des défis internes et externes qui l’attendent, tout comme l’ensemble de l’équipe nationale et des associations territoriales. Il s’est inscrit dans l’histoire des CEMÉA, repérant dans les congrès précédents2 des moments-clés depuis celui de Caen (1957) où Gisèle de Failly exprima les principes qui fondent l’action des CEMÉA :

  • À Orléans (1971) : l’ancrage des CEMÉA dans le courant progressiste.
  • À Clermont-Ferrand (1984) : la question de la territorialisation.
  • À Strasbourg (1992) : la Laïcité.
  • À Montpellier (1997) : après les attaques de la droite, les CEMÉA sont reconnus dans leur action par la gauche.
  • À Brest (2001) : ouvrir le mouvement au plus grand nombre Président des Ceméa.
  • À Amiens (2005) : centrer la réflexion politique sur le mouvement.
  • À Aix-en-Provence (2010) : clarifier le projet associatif, identifier des enjeux sociétaux, rédiger un manifeste.
  • À Grenoble (2015) : se présenter des actions pour essayer de les essaimer.

Le congrès de Poitiers (ville qui constitue un fer de lance du progressisme éducationnel) ne fera pas exception dans les horizons qu’il dessine ! Il est certain que les enjeux sociétaux auront été alimentés durant les quatre jours du congrès. Il s’agit maintenant de leur permettre des concrétisations pertinentes ancrées dans la réalité du réseau des CEMÉA en s’appuyant sur nos valeurs historiques : l’éducabilité, l’émancipation et les solidarités.

Dans le chef-lieu de la Vienne, notre délégation belge composée d’une dizaine de personnes a pu découvrir, alimenter, confronter les expériences... Et vivre un moment d’humanité, de ressourcement et de perspectives... Pour Michel, Sabah, Jean-Paul, Simon, Catherine, Hélène, Julie ou Jonathan, le Congrès de 2021 à Poitiers, c’était aussi cela :

  • "L’accueil chaleureux à notre arrivée par des copains et copines rencontré-e-s aux REN (Rencontres de l’Éducation Nouvelle). Les accolades enthousiastes avec Fabienne, Morgane, Jacques, Jean-Baptiste... La chaîne humaine pour transporter le matériel de l’exposition."
  • "Beaucoup de monde, la rencontre,l’échange, les émotions."
  • "Des retrouvailles, avec les ami-e-s, le sourire, le plaisir de voir la joie des participant-e-s."
  • "Chanter (parfois faux, parfois pas les bonnes paroles) autour d’une table au bar."
  • "Un atelier sur le chant et les danses collectives, de l’activité et des échanges très intéressants."
  • "Un discours d’ouverture au contenu militant mais aussi émouvant par la dernière prise de parole de Jean-Luc Cazaillon en tant que Directeur Général."
  • "La mise en perspective de nos enjeux éducatifs au regard d’un travail plus théorique de chercheurs et chercheuses."
  • "Une dose d’humilité, à la fois en tant que Belge, mais aussi face à la tâche qui nous attend."
  • "Se remettre en question sur certaines thématiques grâce à un regard différent sur les choses. Travailler avec des personnes qui veulent faire progresser les choses. Faire du lien, se revoir, se rencontrer, échanger..."
  • "Le mot « camarade » prononcé par Edwy Plenel et qui, dans la manière d’être prononcé, dans le poids du mot, faisait résonner en moi un tas d’émotions, d’ambitions, d’appartenance. Une pensée à mes parents."
  • "Des échanges sur les dimensions solidaires ou sur notre positionnement politique avec une volonté d’aboutir sur des grandes lignes de travail pour demain."
  • "Le montage de l’expo et l’atelier de présentation ainsi que l’échange autour de la réussite éducative étaient des moments forts."
  • « Des échanges au niveau périscolaire, notre rôle d’animateur-animatrice. »
  • « Rencontrer d’autres, d’autresmanières d’agir, de penser, d’accueillir. Se requinquer dans des échanges, desrires, des activités... Se sentir appartenir à un groupe au-delà de nous. »
  • « Resserrer les liens avec les copains et copines français-e-s et d’ailleurs, le plaisir de réfléchir ensemble et de découvrir le travail des différentes Associations Territoriales. »
  • « Le plaisir de Jacques (et le mien) à tenter de nous apprendre à faire un sifflet... »
  • « Le repas de la dernière soirée partagé avec des copains et copines de Normandie. »
  • "Les travaux des CEMÉA sur le champ psychosocial, cachés par nos ennemis qui mettent les neurosciences en avant au risque de remplacer le déterminisme social par le déterminisme neuronal !"

Avec des perspectives, des envies et des effets pour la suite... :

  • "Des alliances, des collaborations, de la force et du soutien."
  • "S’engager encore et encore. Accueillir, coopérer, se dépasser, partager, être ensemble et grandir ensemble. Pensez nos gestes et nos actions, car nombreux sont les défis à relever."
  • "Des mobilités par ci, par là, et la concrétisation des envies de se mettre au travail ensemble."
  • "Plus de culture dans l’animation. Des mobilisations neuves dans une énergie renouvelée."
  • "L’inscription des CEMÉA dans le futur, en lien avec nos actions et en articulation avec le monde scientifique. Dépoussiérer nos pratiques et oser les remettre en questions tout en gardant nos valeurs."

De beaux et nécessaires défis !

1/ Morceaux choisis du discours d’ouverture à retrouver sur https://congres.cemea.org/lheure-de-nous-memes-a-sonne/

2/ -https://www.cemea.asso.fr/IMG/pdf/10panneaux.pdf

Photos : @CEMÉA France

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