- Vécus de formation(s)
Introduction
Cet article vous propose un exemple concret de processus de déconstruction des stéréotypes. Cet exemple, dans le
respect d’un de nos principes de formation essentiel qui est celui de la confidentialité, ne vient pas d’une formation précise et d’un-e participant-e, mais est un “assemblage” de plusieurs cas vécus dans différents modules de formation “Pour une éducation à l’égalité des genres”.
Le cadre se pose
Le premier jour de formation, dans le moment d’écoute des motivations des personnes par rapport à la formation, une puéricultrice exprime ses attentes en ces termes : elle est là parce qu’elle est choquée de voir si peu d’hommes dans le milieu d’accueil où elle travaille, elle veut comprendre pourquoi les hommes désertent la tranche 0-3 ans, pourquoi il n’y a pratiquement pas de puériculteurs, ça l’énerve d’être dans un milieu uniquement féminin... Elle veut qu’on lui donne des pistes pour faire comprendre aux hommes -aux pères- que leur rôle est primordial dès la naissance. Et elle émet plein de suggestions : il faudrait réfléchir à une réforme des études de puériculture, il faudrait augmenter les salaires pour rendre le métier plus attractif pour les hommes, etc.
Rapidement, le cadre de la formation est posé par l’équipe et le registre d’intervention privilégié est explicité : oui, une réforme des études cela pourrait être une piste, oui un salaire plus élevé permettrait peut-être d’amener plus de professionnels masculins en crèche... mais ces solutions ne sont pas à notre portée là maintenant, et ce n’est pas là-dessus que nous allons travailler pendant la formation, mais plutôt sur ce dont chacun-e est porteur, porteuse en termes de stéréotypes sexués et d’assignations et, par conséquent, ce sur quoi chacun-e peut agir directement.
La formation commence...
... et au fur et à mesure des activités proposées et des espaces de paroles mis en place, des éléments de ce que cette participante vit, a vécu, pense, fait et véhicule émergent...Au cours d’un brainstorming autour des stéréotypes sexués, la participante trouve que la phrase “Les femmes sont douces et les hommes sont forts”, “c’est quand même un peu vrai”... Et que “Les femmes adorent les bébés, les hommes préfèrent les enfants plus grands”, c’est tout à fait vrai, c’est la réalité, d’ailleurs cela se vérifie sur son lieu de travail, mais aussi dans sa vie privée ! La preuve, à la maison, c’est toujours elle qui devait changer les couches de son bébé... et quand, une fois ou l’autre, son mari était obligé de le faire, la couche était toujours mal mise, les collants se décollaient... bref, c’était elle qui devait recommencer le change pour qu’il soit bien fait !
Durant un moment d’échange informel (une pause-café), elle explique qu’à la crèche chaque année les enfants reçoivent un petit cadeau à la Saint-Nicolas et que c’est elle qui est chargée d’acheter les jouets. Et en répondant simplement aux questions posées au cours de la conversation par les personnes qui l’entourent, elle se rend compte qu’elle achète toujours une poupée pour les petites filles et un camion ou une voiture pour les petits garçons... et qu’elle ne tient pas du tout compte des goûts et des comportements observés chez les unes et les autres pendant les moments de jeux.
Pendant un jeu de rôles, elle s’adresse à un participant qui joue le rôle d’un père venant chercher son enfant à l’école en lui disant : “Vous direz à votre femme que votre fils a été vraiment difficile aujourd’hui”... comme si lui-même n’était pas capable de traiter cette information, d’en faire quelque chose de constructif, de pertinent, par rapport à son enfant, le plaçant dans un rôle de relais, d’intermédiaire... entre deux femmes ! Ce qui lui est renvoyé par le participant, pendant l’échange sur le vécu de l’activité.
Dans un moment d’échange de pratiques, elle raconte que parfois un bébé arrive le matin à la crèche “habillé comme l’as de pique”, avec deux chaussettes de couleurs différentes... et elle se rend compte, grâce aux questions des autres participant-e-s et aux demandes de précision et de reformulations de l’équipe que : si c’est la mère qui amène l’enfant, elle pensera “Mais enfin, celle-là, elle aurait pu faire un effort !” et elle transmettra à l’équipe cette impression “T’as vu comment elle a encore habillé son bébé ce matin ?!” ... tandis que si c’est le père qui amène le bébé mal fagoté, elle va trouver cela “mignon, adorable... le pauvre, au moins il a essayé !”, elle en sourit et c’est cette indulgence qu’elle fera passer aux autres puéricultrices !
Tous ces éléments – et bien d’autres - lui sont renvoyés par le groupe et par l’équipe, de manière non jugeante, l’amenant à s’interroger, à se remettre en question, à analyser sa pratique... en tenant compte du filtre “genres”.
La phase de déstabilisation
La participante prend conscience de ce qu’elle véhicule en tant que personne sur son lieu de travail et dans sa vie privée en matière de stéréotypes sexués et d’assignations de rôles !
Et c’est un sacré malaise, une fameuse gifle pour quelqu’un qui pensait, très sincèrement, ne pas être influencée par ces stéréotypes sexués, y avoir réfléchi... et être au clair.
Un obstacle nouveau se dresse sur sa route : la prise de conscience que ce qu’elle pense/dit/fait... de manière impulsive, implicite, dans son affect... se révèle être à l’encontre de ce qu’elle défend de manière réfléchie, voulue, construite, explicite... en matière d’égalité des genres. Et que cette situation, tout en étant très certainement influencée par elle, ne se résoudra pas dans la Société par des réformes scolaires ou politiques... mais par un changement dans ses relations et ses attitudes, un changement personnel, conscient et réfléchi.
Les représentations initiales sont bousculées, se transforment...
Le cadre de la formation permet l’expression et la prise en compte du désarroi, de l’émotion résultant de cette déstabilisation... “Je me rends compte au fond de moi que je n’ai pas vraiment envie que les hommes prennent une place dans l’éducation des jeunes enfants... Que me restera-t-il si les hommes accèdent aussi à ce domaine-là, qui m’était réservé, où je me sens bien, à ma place et compétente ?”
Et les choses se posent souvent alors en termes de gains et de pertes : “Qu’est-ce que j’y gagne/qu’est-ce que j’y perds ?” au fond, dans cette recherche d’une relation plus égalitaire entre hommes et femmes, pères et mères, compagnes et compagnons ?
“Sur quoi j’ai vraiment envie d’agir...?”
La suite du processus dépend de chaque personne et de sa volonté, de son pouvoir d’agir. “Dans tout ce que je viens de comprendre de mes attitudes, dans tous ces fonctionnements que j’ai... sur quoi j’ai vraiment envie d’avoir une action ?”
Car, ne nous voilons pas la face : certains stéréotypes nous arrangent bien tous et toutes que nous sommes ! Que les femmes soient sensibles et que les hommes soient forts, peut-être cela nous convient-il dans notre couple ? Au boulot, au bureau, que les hommes s’occupent des pannes d’ordinateur et que les femmes répondent au courrier, cela nous dérange-t-il vraiment ? A l’école, que l’on dise que les filles sont fortes en français et les garçons forts en math, peut-être trouvons-nous cela normal ?
La phase de reconstruction
Comment, dès lors, agir sur ces stéréotypes, ces fonctionnements qui véhiculent tout un tas d’assignations, de non-choix, d’enfermements dans des cases pré-établies ? Sur ces représentations qui disent “une fille est comme ceci, un garçon est comme cela” ... et donc “une fille doit faire ceci, un garçon doit faire cela” ?
En faisant prendre conscience de ces représentations et en analysant leurs conséquences, ce dans quoi elles enferment les unes et les autres, leurs conséquences sur nos relations : dans notre couple, avec nos enfants, dans nos interventions éducatives avec les enfants, les jeunes... dans les modèles d’identification que nous proposons !
Et permettant aux personnes de se positionner sur leur envie, leur volonté d’agir... “Là-dessus, il faut que j’agisse, j’en ai la volonté. Sur cela, par contre, dans ma situation actuelle, c’est trop compliqué...”
En donnant aux participant-e-s des outils d’analyse, des grilles de lecture, des pistes... pour les aider à se projeter, construire des perspectives, cibler leur action dans un registre d’intervention adéquat.
Le dernier jour de la formation, cette puéricultrice par exemple a exprimé de nombreuses pistes d’actions vis-à-vis de son entourage relationnel direct, dont la plus conséquente : partir du postulat que le père et la mère ont la même compétence pour s’occuper du jeune enfant afin de casser le stéréotype qui dit que “La mère est plus compétente que le père” (le fameux instinct maternel) et qui façonne sa réalité de vie actuellement...
Professionnellement : être attentive aux contenus des messages qu’elle transmet aux pères et aux mères et à la manière de les transmettre ; avoir une vigilance dans ses interventions éducatives vis-à-vis des filles et des garçons pour permettre les mêmes activités, les mêmes choix aux unes et aux autres ; Personnellement : laisser une réelle place à son compagnon dans l’éducation de leurs enfants... et par conséquent conquérir une autre place en se permettant de ne pas être une mère parfaite, en s’autorisant d’autres centres d’intérêt que ses enfants et sa maison,
sans culpabiliser...
Ce qui ne l’a pas du tout empêchée de réaffirmer son envie d’une réflexion politique et son intention de la susciter par tous les moyens à sa portée (syndicat, parti politique...) pour une révision du système scolaire, qui fait qu’aujourd’hui le choix des études de puériculture se pose vers 14-15 ans...dans ce moment sensible de construction identitaire qu’est l’adolescence. Quel est le garçon qui osera à 14 ans poser le choix de ce type d’études ? Quel adulte (parent, enseignant-e, responsable PMS...) l’y encouragera pleinement ?
La formation est un déclencheur...
Nous pourrions citer des exemples issus d’autres milieux éducatifs (école, animation, aide à la jeunesse...). Nos groupes de formation comptent entre 10 et 25 personnes : toutes avec des parcours de vie différents, des réalités privées et professionnelles, des envies, besoins et attentes et des limites différents... que l’équipe doit prendre en compte et gérer. Et c’est cette rencontre qui fait aussi la richesse de cette formation.
Pas toujours avec le même résultat d’ailleurs... Il arrive régulièrement que des personnes rejettent le cadre de formation proposé : elles veulent des définitions, sont venues chercher des réponses, presque des “trucs et astuces pour un monde égalitaire”, des analyses politiques, économiques et culturelles... Elles refusent la déstabilisation et ne veulent pas renoncer à leurs représentations initiales, qui leur conviennent. Parfois, certaines personnes ne reviennent pas à la deuxième partie de la formation, elles prennent la fuite, d’une manière ou d’une autre... Ce qui ne signifie pas que le processus de formation a échoué : peut-être prendra-t-il plus de temps, peut-être le chemin se fera-t-il plus tard dans le parcours de la personne ? Ou pas.
La formation est un déclencheur, tout le travail se fait après... Chaque personne retourne à son quotidien avec un regard critique – le sien ! - posé sur ses attitudes, ses choix ou ses non-choix de vie, ses envies de changements en matière d’égalité des genres. Chacun-e repart avec des constats dont les contenus et la portée lui appartiennent, avec des pistes d’actions dont il-elle fera ce qu’elle-il voudra...ou pourra.
Mais aux CEMEA, nous croyons, nous affirmons que c’est un processus - parce qu’il touche aux représentations les plus ancrées - qui transforme les personnes dans ce qu’elles ont de plus inconscient, de plus intégré et qui peut changer à jamais leur relations quotidiennes et leurs pratiques éducatives... pour une égalité des genres consciente, désirée, vécue et agie... pas (que) décrétée.