« Que l’enfant soit la fin suprême de la femme, c’est là une affirmation qui a tout juste la valeur d’un slogan publicitaire. » (1) - Simone de Beauvoir
Vous avez déjà certainement entendu des phrases comme « La maternité, c’est l’accomplissement d’une vie de femme ! », « Les enfants ont avant tout besoin de leur mère, surtout quand ils sont jeunes ! », ou encore « Les femmes savent bien s’occuper des enfants ; les hommes sont plus maladroits et ça ne les intéresse pas »…
Ces idées reçues enferment les femmes et les hommes dans des rôles et leur induisent des comportements, des attitudes, voire des émotions, auxquels elles-ils seront enclin à se conformer, consciemment ou inconsciemment. Ces stéréotypes sexués impliquent aussi un rapport à la norme dans les rôles parentaux : ce qui est acceptable, admis, attendu... d’un père ou d’une mère à notre époque, dans notre société. Mais d’où viennent ces idées reçues ? Qu’est-ce qui fonde ces stéréotypes autour des rôles et comportements parentaux ? La réponse tient en quelques mots : l’instinct maternel. Cette croyance qui voudrait que les femmes, non seulement ressentent toutes le désir d’avoir un enfant, mais aussi qu’elles aiment d’emblée leur nouveau-né et y sont attachées, qu’elles savent instinctivement comment s’en occuper et que, de manière générale, les femmes sont plus qualifiées que les hommes dans le soin et l’éducation des enfants.
L’origine du mythe : entre observations du monde animal et influences hormonales
Au 19e siècle, avec d’autres scientifiques, Charles Darwin exprime sa conviction de l’existence d’un instinct de protection des mères vis-à-vis de leur progéniture. Comparant les comportements des mères de nombreuses espèces, tant animales qu’humaines, Darwin affirme que l’affection maternelle fait partie des instincts sociaux les plus puissants et qu’elle pousse les mères à aimer, nourrir, laver, consoler et défendre leurs petits. « Lorsqu’on lit les exemples touchants d’affection maternelle, rapportés si souvent au sujet des femmes de toutes les nations et des femelles de tous les animaux, comment douter que le mobile de l’action ne soit le même dans les deux cas ? » (2)
Cette théorie de l’instinct maternel connaît un grand succès, à une époque où le thème de la « dépopulation » devient une préoccupation récurrente des responsables politiques européens. En France, sous la IIIe République (1870-1940), certains parlementaires réclament, par exemple, une protection de la maternité et de nombreux manuels de piété destinés aux femmes chrétiennes évoquent leurs « missions sociales », dont la maternité (3).
Voici donc planté le décor historique et politique de la naissance de la théorie de « l’instinct maternel ». Mais au-delà de ces éléments contextuels, on peut se demander s’il existe des incitants physiologiques qui confirmeraient cette théorie. Pour certain-e-s, en effet, l’apparition de l’amour maternel dépendrait des concentrations d’hormones durant la grossesse et après la naissance (4).
C’est le propos de la primatologue américaine Sarah Blaffer Hrdy : son livre « Mother Nature. A History of Mothers, Infants and Natural Selection » connaît un grand retentissement médiatique à la fin du 20e siècle et contribue à répandre, à l’époque, la théorie de l’importance du rôle des instincts dans les comportements maternels humains.
Sarah Blaffer Hrdy est sociobiologiste (la sociobiologie attribue les comportements sociaux à certains dispositifs biologiques des espèces animales, y compris pour l’être humain) et, comme Charles Darwin, ses théories sont basées sur l’éthologie, c’est-à-dire la science des comportements des espèces animales. Comparant les comportements maternels des rongeurs, des primates et des femmes, elle affirme qu’il existe des dispositifs biologiques intrinsèques qui participent de l’attachement d’une mère à son petit. Elle évoque l’existence, chez les mammifères, d’une zone spécifique du cerveau située dans l’hypothalamus, qui stimulerait les comportements d’élevage. Cette zone cérébrale est sous la dépendance d’une famille de gènes appelés « C-Fos ». C’est l’odeur des petits qui en déclencherait l’activation, participant à la production d’hormones stimulant la réaction maternelle. Un autre mécanisme déclencheur du comportement maternel proviendrait de la prolactine, hormone qui produit la lactation. La montée de lait déclencherait chez les jeunes mères des envies maternantes (5).
Hormones, odeurs, gènes... ces dispositifs biologiques, censés inciter les mères à s’occuper de leurs petits, ne suffisent pourtant pas à faire de toutes les femmes des mères attentionnées. Sarah Blaffer Hrdy définit dès lors l’amour maternel comme un alliage complexe de facteurs biologiques et de mécanismes de construction sociale, se démarquant en cela du courant sociobiologiste « pur ». Elle note ainsi que certaines mères peuvent être négligentes, distantes ou maltraitantes à l’égard de leurs petits.
« Bien que Sarah Blaffer Hrdy reconnaisse l’influence du contexte social, économique, historique… sur le sentiment maternel, rien de tout cela n’invalide à ses yeux la notion d’instinct. L’amour maternel a une base biologique incontournable : la prolactine, l’hormone de l’allaitement. C’est l’allaitement et la proximité qu’il implique qui forgent des liens puissants entre la mère et son enfant » (6 )- Elisabeth Badinter
Si l’allaitement est l’élément décl bencheur de l’amour maternel, qu’en est-il des mères qui n’allaitent pas ou peu ? Leur enfant souffrira-til de carences affectives ? Et, d’un autre côté, comment expliquer le manque d’attachement ressenti par certaines jeunes mères, pourtant allaitantes, vis-à-vis de leur nouveau-né, ainsi que les comportements de négligence, voire de maltraitance ?
Le jeune humain, cet être dépendant
Un élément à prendre en compte pour comprendre la prégnance du mythe de l’existence d’un instinct maternel, est l’état extrême de dépendance dans lequel se trouve le nouveau-né humain. En effet, parmi les mammifères, le petit humain est l’être vivant le moins autonome à la naissance... ce qui implique une absolue nécessité de s’en occuper pour qu’il survive. Et qui d’autre pourrait mieux s’en charger que sa mère, justement présente à ses côtés durant les premières semaines de sa vie, en train de se remettre des bouleversements provoqués par la grossesse et l’accouchement ?
Le psychiatre René Spitz, au milieu du 20e siècle, évoque ainsi « le stade d’impuissance totale et de passivité des trois premiers mois » (7), durant lequel le bébé ne peut percevoir pleinement son environnement et ne dispose d’aucun moyen d’agir sur lui. Pour Spitz, cette impuissance initiale du bébé rend nécessaire l’intervention active de sa mère, contribuant à créer une relation mère-enfant inconditionnelle et irrépressible. « La problématique de l’impuissance originelle disparaît donc derrière cette finalité qu’on lui donne. » (8)
À la même époque, le pédiatre et psychiatre Donald Woods Winnicott plaide également pour que le bébé soit aux soins de sa mère dans les premiers mois de sa vie, pas nécessairement au regard d’une dépendance motrice, mais en raison d’une nécessité du lien mère-enfant dans la construction psychique de ce dernier. « D’où l’idée de princeps, chère à l’auteur et répétée inlassablement sous les formes les plus diverses : « Un bébé ça n’existe pas » ; « le bébé et sa mère ne font qu’un » ; « la mère fait partie du bébé. » (9)
Avec « The good-enough mother », Winnicott développe le concept d’une mère suffisamment bonne pour donner des réponses équilibrées aux besoins du nourrisson, en opposition à une mère qui ne serait « pas assez bonne » et laisserait l’enfant en souffrance et dans l’angoisse, ou bien à une mère qui serait « trop bonne », anticipant trop les besoins de l’enfant et ne le laissant pas assez ressentir le manque, élément essentiel à l’identification du moi comme différencié de la mère. (10)
L’intention de Winnicott, dans ses travaux, n’est pas de culpabiliser les mères : ses principes ne font pas office de jugement et ne s’attachent pas à décrire la personne de la mère, mais le rapport de l’enfant à un objet maternel, qui peut en partie, mais pas nécessairement, être lié à la personne physique. Toutefois, ses réflexions, comme celles d’autres pédiatres ou psychanalystes reconnus (Thomas Berry Brazelton, Bruno Bettelheim…) vont contribuer à renforcer cette idée reçue de l’absolue nécessité de la présence physique de sa mère auprès du jeune enfant, pour un développement harmonieux de celui-ci dans les premières années de sa vie.
Regards sur l’évolution de la « maternité »
Une autre manière d’interroger la théorie de l’instinct maternel est d’analyser l’évolution de la notion de maternité et son influence sur les rapports humains. Car le concept de maternité n’est pas naturel : il s’est construit socialement, politiquement, culturellement et idéologiquement, dans notre histoire occidentale, en tant que « mythe social qui servirait à justifier le fonctionnement des sociétés, à organiser une manière de voir le monde et de pousser les individus à se comporter de telle ou telle manière. » (11)
Se basant sur différents travaux autour de l’histoire de l’enfance, Elisabeth Badinter démontre que le concept d’amour maternel est une idée relativement neuve en Occident, datant de la fin du 18è siècle (12). Auparavant, du fait du nombre d’enfants qui mouraient en bas âge, des contraintes économiques et du peu de considération que l’on portait aux enfants en général et aux nourrissons en particulier (considérés comme des ébauches d’êtres humains, dépourvus d’intelligence, de sentiments, voire de ressentis), l’attachement à ses enfants n’était pas la norme. Le nombre d’enfants laissés en nourrice, vendus ou abandonnés, prouve que beaucoup de parents, donc de mères, n’étaient pas attaché-e-s à leurs enfants.
« Pratique ancienne et répandue dans de nombreux pays, la mise en nourrice atteint en France, au 19e siècle, des sommets nulle part égalés en Europe. Une question attenante à la mise en nourrice est celle de l’abandon des enfants, qui concerne en moyenne environ 25 000 enfants par an en France, au 19e siècle : les mères sont urbaines, souvent célibataires, âgées en moyenne d’une vingtaine d’années et, dans près d’un tiers des cas, domestiques. » (13) - Cova Anne
À partir de la fin du 18 e siècle, la maternité commence à être valorisée à différents niveaux. Sur le plan biologique, le corps des femmes, « berceau de la vie », devient de plus en plus protégé et surveillé par les médecins. Sur le plan psychologique, l’amour maternel est érigé en valeur universelle indispensable à une société heureuse. Enfin, sur le plan social, la compassion maternelle est extrêmement valorisée : la maternité devient l’un des symboles de la solidarité nationale ! Cette mise en avant du rôle de mère coïncide avec une situation démographique européenne où la dépopulation croissante préoccupe les responsables politiques. En 1896, la publication des résultats du recensement en France montre que le renouvellement des générations n’a pas été assuré depuis 1890. La même année se crée « L’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française », représentant actif du mouvement nataliste, qui marque les débuts d’une action collective en faveur des familles nombreuses.
Cette période correspond aussi au début de la répression de l’avortement dans plusieurs pays européens. En Belgique, le code pénal de 1867 inscrit l’avortement au rang des « crimes et délits contre l’ordre des familles et la moralité publique ». La loi sanctionne d’un emprisonnement de deux à cinq ans tant la femme qui y a recours que la personne qui la fait avorter, les peines étant fort aggravées si celle-ci est médecin, sage-femme ou pharmacien-ne (14). En France, la majorité du corps médical se prononce contre l’avortement et se réjouit lorsque sont promulguées les lois de 1920-1923 qui le condamnent. En Italie, les lois de « pubblica sicurezza » (sécurité publique) de 1926 sont destinées à empêcher la propagande en faveur de l’avortement et du contrôle des naissances : l’avortement devient un crime d’État, la vente de contraceptifs est interdite, ainsi que l’éducation sexuelle (15).
Ainsi, au début du 20e siècle, l’identité féminine est, dans un premier temps, mise à mal par les propagandes nationalistes qui suivent les deux guerres mondiales : de manière violente par la répression de la contraception et de l’avortement, ou de manière symbolique par l’encouragement à la maternité, comme la fête des mères initiée en 1926. Dans un second temps, la médicalisation de la grossesse et de l’accouchement vont fortement modifier le rapport des femmes à leur propre corps.
Deux ouvrages vont cependant contribuer à révolutionner la représentation de la maternité. Dans « Le deuxième sexe » en 1949, Simone de Beauvoir dissocie définitivement la femme de la mère. Elle affirme que l’instinct maternel n’existe pas et que la maternité aliène la femme : la femme n’est plus « sujet » de son corps, l’enfant « se fait » en elle. Cette vision révolutionnaire de la maternité provoque de nombreuses polémiques dans l’opinion publique à l’époque, mais soutient l’action des combats féministes naissants.
En 1963, dans « The Feminine Mystique » (La Femme mystifiée), Betty Friedan s’intéresse au sort des mères au foyer et au renfermement sur soi que peut entraîner l’absence d’activité publique : « déclin de l’autonomie, déperdition du capital culturel, engourdissement de l’esprit d’initiative. » 16 La fonction maternelle entraînerait la dégradation des femmes en tant qu’individus autonomes et pensants.
Les femmes vont donc peu à peu prendre de la distance avec la maternité. Ne souhaitant plus être considérées comme des corps reproductifs, certaines femmes, sous l’impulsion des mouvements féministes, cassent les représentations classiques de la bonne mère.
À la fin du 20e siècle, les femmes obtiennent le droit de disposer de leur corps, avec l’accès à la contraception et la dépénalisation de l’avortement. La maternité (re)devient un choix. Dès lors, la vision et le vécu de la maternité se modifient… et s’idéalisent : les femmes enceintes attendent toutes « un heureux événement », parce qu’elles sont censées désirer leur enfant et avoir planifié leur grossesse. Et puisque l’enfant qui vient est forcément désiré, il mérite toute l’attention de ses parents, particulièrement de sa mère, estimée plus nécessaire à son bon développement.
Un subtil processus de culpabilisation des mères qui travaillent, toujours actif de nos jours, se met en marche. Pédiatres et psychologues vont en effet s’entendre pour affirmer que la présence de sa mère auprès de lui est indispensable au développement harmonieux du jeune enfant. La théorie de l’instinct maternel revient en force et la pression du corps médical s’accroît, par exemple vis-à-vis de l’allaitement, qui devient indispensable à la bonne condition physique et psychique du nourrisson.
En 1972, parait le best-seller mondial « Tout se joue avant 6 ans » (How to Parent) du psychologue américain Fitzhugh Dodson. L’auteur, spécialiste de l’éducation, y expose sa conviction de l’importance des premières années dans le développement de la personnalité d’un enfant. Selon lui, le type et la nature des stimulations reçues par un jeune enfant détermineront en grande partie la suite de ses apprentissages. Et qui, mieux que sa mère, serait plus compétent-e pour apporter au jeune enfant les stimulations dont il a besoin ? Théorie renforcée par Thomas Berry Brazelton, médiatique pédiatre des années 1980-1990, connu de nombreux parents américains grâce à ses ouvrages de vulgarisation, mais surtout grâce à son émission télévisée « What Every Baby Knows » (Ce que tous les bébés savent), qui affirme ainsi en 1988 : « Si les enfants n’ont pas cela (que la mère reste à la maison près de son enfant durant la première année de sa vie), ils deviendront insupportables à l’école et n’y réussiront jamais ; ils rendront tout le monde furieux ; ils deviendront plus tard des délinquants et éventuellement des terroristes ! » (17)
Quant au psychanalyste pour enfants Bruno Bettelheim, il répondra en ces termes à la demande de l’éditeur d’Elisabeth Badinter d’écrire la préface de son ouvrage « L’Amour en plus », en 1981 : « Toute ma vie j’ai travaillé avec des enfants dont la vie avait été détruite parce que leur mère les haïssait (…). La démonstration qu’il n’y a pas d’instinct maternel – bien sûr qu’il n’y en a pas, sinon ils n’auraient pas été si nombreux à avoir besoin de mes services – ne servira qu’à libérer les mères de leur sentiment de culpabilité, seul frein qui permette de sauver certains enfants de la destruction, du suicide, de l’anorexie, etc. Je ne veux pas prêter mon nom à la suppression du dernier rempart offrant à beaucoup d’enfants malheureux une protection contre la destruction. » (18)
Trois argumentations qui se complètent… pour démonter le mythe
Une anthropologue, une psychologue et une neurobiologiste l’affirment : l’instinct maternel n’existe pas. Il y a non seulement confusion de langage entre « instinct maternel » (primaire, animal, irrépressible...) et « amour maternel » (ressenti, psychique, personnel…), mais même l’amour maternel n’a rien d’inné, d’intemporel ou d’universel : il se construit, ou non, selon l’histoire de chaque femme.
Françoise Héritier : L’amour maternel est une construction mentale et sociale. (19)
« Le terme instinct, au sens strict, suppose que l’on soit conduit, malgré soi, à un certain type de comportements qui seraient liés à notre espèce. Cela est valable pour les animaux, mais ne l’est pas pour l’espèce humaine. Parce que l’homme est doté d’une conscience, d’un libre-arbitre, de sentiments… Il s’agit donc de volontés, et non d’instincts. Des volontés qui peuvent d’ailleurs être absentes. Faire un enfant est à la fois le fruit de la volonté de se reproduire, c’est-à-dire de transmettre la vie, et la nécessité (et donc la volonté qui l’accompagne) de protection. (…) Ce qui peut exister, ce sont des constructions idéologiques d’ensemble qui nous poussent à nous conformer à la loi de la reproduction - il n’y a qu’à regarder à quel point on culpabilise les jeunes femmes, et parfois même, les jeunes couples, lorsque ceux-ci tardent à avoir des enfants. »
Maryse Vaillant : Le sentiment maternel est le fruit d’une maturation psychique singulière à chaque jeune mère. (20)
« L’expérience clinique, et même la simple observation le montre : l’instinct maternel n’existe pas au sens d’instinct inné inscrit dans les gènes et que toute femme aurait au moment d’accoucher, comme c’est le cas chez les autres mammifères. Comme tout être humain, la jeune mère est travaillée par son inconscient, son histoire de fille, l’histoire de sa mère et celle des femmes de sa famille. Son désir d’enfant est lié à son passé, à sa relation au père -ou au géniteur de l’enfant-, ainsi qu’à ses projections sur l’avenir. Il n’y a rien d’instinctif là-dedans, c’est une maturation psychique singulière à chaque jeune mère. La notion d’instinct maternel ramène la femme à l’animal, la femelle, elle réduit les femmes à leur fonction de génitrice, niant la singularité du parcours de chacune, niant l’intensité du travail psychique et de l’inconscient. En outre, l’idée d’un instinct inné « naturel » culpabilise celles, très nombreuses, qui n’éprouvent aucune pulsion protectrice et affectueuse envers leur nouveau-né, et qui construisent leur sentiment maternel, parfois dans la difficulté. »
Catherine Vidal : Les hormones ne sont pas toutes puissantes ! (21)
« La question de l’instinct maternel est une question propice à l’idéologie. Qu’il existe un instinct maternel chez l’animal, c’est une évidence. Le problème de fond est l’extrapolation à l’humain que l’on voudrait réduire à une machine cérébrale qui obéirait simplement aux hormones. C’est une vision réductionniste qui ignore la dimension psychique et sociale des êtres humains. L’être humain est avant tout diversité et complexité. Son comportement ne peut pas être programmé, parce que son cerveau est unique en son genre : le cortex cérébral de l’homme est bien plus développé que celui de n’importe quel animal, y compris le singe. Voilà pourquoi, grâce à son « libre arbitre », l’Homo sapiens est capable de court-circuiter les programmes instinctifs dépendants des hormones. Tout ce qui relève des instincts chez l’animal est contrôlé chez nous par la culture. L’être humain peut décider de faire la grève de la faim ou de renoncer à la sexualité. (...) Le vécu d’une femme face à son enfant est le produit de son histoire personnelle, et du contexte social, économique, politique dans lequel naît cet enfant. »
En guise de conclusion…
Au 21e siècle, bien que les représentations traditionnelles de la maternité aient été mises à mal, les injonctions sur les femmes restent importantes. La maternité, en devenant un projet individuel davantage choisi et investi, voire idéalisé, fait peser sur les femmes d’énormes pressions quant au bonheur de cet enfant qu’elles ont désiré. L’enfant « projet de vie », mérite toute l’attention de sa mère. Son bonheur, présent et futur, nécessite qu’elle mette sa carrière professionnelle entre parenthèses pour rester auprès de lui, au moins les premières années de sa vie. « La femme a appris à penser « moi d’abord ». Mais quand elle décide d’avoir un enfant (…), elle doit inverser la donne, c’est « lui d’abord ». Or, depuis trente ans, les devoirs maternels qui n’ont pas cessé de s’alourdir, rendent la situation des mères qui travaillent de plus en plus insoutenable. (…) C’est une réassignation de la place des mères à la maison, considérée comme leur place naturelle. » (22)
La maternité est devenue un choix : celui-ci doit être assumé. L’État met d’ailleurs en place plusieurs dispositifs favorisant la présence de sa mère auprès du jeune enfant (congés parental, d’allaitement, de maternité, possibilités de travail à temps partiel…). Ces dispositifs traduisent, consciemment ou non, les assignations qui pèsent toujours sur les femmes-les mères et, alors que l’on pensait le mythe définitivement enterré, la question de l’existence d’un savoir-faire inné et universel, d’un instinct qui ferait que les femmes aiment s’occuper des enfants et le font bien mieux que les hommes… refait surface.
« Désormais, parce que la femme a, la plupart du temps, le choix, les attentes que la société a envers elle sont surdimensionnées, mais également naturalisées. Grâce à son instinct maternel, elle se doit de vivre une maternité radieuse, d’être particulièrement attentive à donner de l’amour à ses enfants et de veiller à ce qu’ils aient une personnalité épanouie. » (23)
1 / Simone de Beauvoir, « Le deuxième sexe », Gallimard, 1986. 2 / Charles Darwin, « L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux », 1872. 3 / Cova Anne, « Où en est l’histoire de la maternité ? », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 21, 2005. 4 / Kinsley C. Lambert K, « L’instinct maternel niché dans le cerveau », Pour la science, 340, février 2006. 5 / Blaffer Hrdy Sarah, « Les Instincts maternels », Payot, 2004. 6 / Badinter Elisabeth, « Le conflit. La femme et la mère », Flammarion, 2010. 7 / Spitz René, « La perte de la mère par le nourrisson », Enfance, no5, 1948. 8 / Delassus Jean-Marie, « Penser la naissance », Dunod, 2011. 9 / Delassus Jean-Marie, « Penser la naissance », Dunod, 2011. 10 / Winnicott D.W., « La mère suffisamment bonne », Payot, 2006. 11 / Lesage Sacha, « La maternité, hier et aujourd’hui », FAPEO, 2014 6/15. 12 / Badinter Élisabeth, « L’Amour en plus : histoire de l’amour maternel (17 e au 20 e siècle) », Livre de Poche, 2001. 13 / Cova Anne, « Où en est l’histoire de la maternité ? », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 21, 2005. 14 / Paul Piret, « Une loi entrée dans l’histoire », La Libre Belgique, 3 avril 2010. 15 / Cova Anne, « Où en est l’histoire de la maternité ? », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 21, 2005. 16 / Friedan Betty, « The Feminine Mystique » (La Femme mystifiée), Gonthier, 1964 17 / Propos tenus dans l’émission du journaliste Bill Moyers « The world of ideas », 1988. 18 / Lettre du 7 juillet 1981 adressée à Macmillan Publishing, éditeur américain de « L’Amour en plus ». 19 / Héritier Françoise, « Masculin-Féminin », Odile Jacob, 2007. 20 / Vaillant Maryse, « Être mère, mission impossible ? », Albin Michel, 2011. 21 / Vidal Catherine, « Le cerveau évolue-t-il au cours de la vie ? », Le Pommier, 2009. 22 / « Elisabeth Badinter contre les tyrans de la maternité », Le Point, n°1951, 2010. 23 / Lesage Sacha, « La maternité, hier et aujourd’hui », FAPEO, 2014 6/15.