Pour nous, formatrices et formateurs des CEMÉA, s’entraîner à la vie collective, se questionner sur son rapport aux autres, pratiquer des activités et en discuter ensuite, s’essayer, rater parfois, recommencer ensuite, prendre des risques mesurés, prendre des risques tout court, tout cela n’a de sens qu’en présentiel. Parce que les relations humaines se tissent à travers les corps, les sensations, l’expérience, l’émotion, les paroles échangées, le langage du corps : la liste des bénéfices est longue. Le résidentiel fait partie de notre ADN : il est l’un des fondements de nos pratiques de l’éducation active. Pas de doute à ce sujet.
Nous attendions donc que ce satané virus s’endorme et disparaisse de nos vies, afin que les formations puissent reprendre. Nous avons attendu, avec patience et détermination. Nous pensions que cela serait l’affaire de quelques semaines. Accroché-e-s aux communications du gouvernement, nous attendions. Au lieu de s’apaiser, la situation a pris de l’ampleur. Nous attendions toujours. La seconde vague s’est amorcée et avec elle des mesures inchangées. Aucune perspective tangible pour l’hiver. Nous ne pouvions plus détourner le regard de cette évidence : la crise sanitaire allait se prolonger.Les formations ayant été annulées ou reportées en cascade, nous avions laissé des dizaines d’animateurs et d’animatrices en cours de formation dans l’attente d’un redémarrage prochain. Début novembre, il a fallu se repositionner et considérer les possibilités de reprise, même les plus timides.

Nous nous devions de proposer un espace formatif à certaines personnes qui témoignaient d’une nécessité professionnelle de clôturer leur parcours. D’autres étaient tout simplement désireuses de le faire pour avancer. Entre-temps, plusieurs formatrices et formateurs avaient acquis une bonne expertise des outils numériques et parvenaient à entrevoir des pistes d’action en distanciel. Nous y sommes donc allé-e-s. En décembre 2020, 15 personnes ont pu terminer leur formation ; en février 2021, nous en avons qualifié 18.
Les formatrices de la Qualification (4 e étape de la formation animateur-animatrice de centres de vacances) de décembre 2020 déclaraient alors :« Un exercice épuisant nerveusement et physiquement, déstabilisant, frustrant, instructif et surprenant. Nous avons tenté d’offrir les meilleures conditions possibles aux participant-e-s, mais nous espérons que cette expérience ne devienne pas la norme. »
Un travail important de préparation a été nécessaire pour maîtriser les outils numériques adéquats. Il a aussi fallu transposer les contenus et nos méthodes de formation à la réalité du confinement et du numérique. Comment mettre les esprits et les corps au travail ? Comment remobiliser les animateurs et les animatrices au travers d’un écran ? Comment retisser du lien et susciter des échanges formatifs ? Nous nous sommes appuyées sur nos pratiques en essayant de rester le plus à l’écoute possible des besoins des participant-e-s, notamment en termes de rythme. Un travail permanent d’observation a dû être opéré afin de percevoir les signes d’essoufflement ou de lassitude. L’accompagnement individualisé, l’interpellation de l’un-e ou l’autre participant-e, ont été beaucoup moins aisés, et peut-être même, n’ont pas pu se faire suffisamment. Téléphoner durant un moment de pause à un-e stagiaire pour savoir comment cela se passe pour elle ou lui n’a de surcroît pas le même effet que de discuter avec la personne face à face, dans un temps informel, au moment le plus opportun.

Sur un autre plan, des problèmes techniques ont régulièrement entravé le temps de formation, nous rappelant que nous étions physiquement éloigné-e-s les un-e-s des autres : une connexion qui perd en stabilité, un micro qui se coupe, une image qui se fige... Le groupe a dû par moments « faire avec » et attendre. Les personnes ont dû garder patience et courage, devant parfois « relancer leur machine » ou quitter la plateforme puis y revenir, alors même que nous avions pris le temps de voir avec chacun-e si le matériel à disposition était adéquat pour pouvoir prendre une part active à la formation. Les téléphones ont chauffé, les doigts ont pianoté sur les claviers avec des « SOS », « Cela ne fonctionne pas ! », « Je ne vous entends pas »... Nos nerfs ont été mis à rude épreuve. Évidement, tout est plus simple lorsque l’on possède un ordinateur performant, une connexion internet XXL, un super casque audio et une grande habitation dans laquelle on peut trouver un espace au calme, loin de l’agitation de la vie de famille. Cette expérience nous montre ainsi combien la formation en mode numérique est susceptible de créer un écart important entre les personnes. Elle Identifie indéniablement ceux-celles qui « ont » parmi celles-ceux « qui ont moins » ou « qui n’ont pas ». Cela nous dit aussi à quel point les formations en distanciel ont leurs limites et qu’elles nepourront pas de si tôt remplacer les formations en résidentiel qui nous sont si chères. Heureusement, s’agissant d’une fin de parcours, les personnes avaient de ce fait un bon bagage et du vécu de formation en présentiel. Cela nous a permis de nous appuyer sur la culture commune des CEMÉA. Par ailleurs, certain-e-s se connaissaient déjà du stage de base ou s’étaient rencontré-e-s lors d’un approfondissement. Cela a donc facilité les échanges en dépit du « mode visio ». Et puis, nous avons pu compter sur l’engagement, la motivation et la bienveillance des participant-e-s. Les personnes étaient contentes de se retrouver ; des moments de rire et de plaisir ont pu se vivre malgré tout. De ces deux expériences de formation en mode numérique.
voici quelques témoignages de participant-e-s au départ des propositions suivantes :
- Moi qui viens de vivre une formation en mode numérique, j’ai envie de dire ...
- Cette formation m’a permis de ...
- Cette formation m’a empêché de ...
« J’ai envie de dire que malgré la distance, je me suis bien amusé et les animatrices nous ont gardé en mouvement afin d éviter un "décrochage de formation’’. Cette formation m’a permis de mieux comprendre le rôle de l’animateur. Elle m’a empêché de vivre 100% de l’esprit des CEMÉA dont je suis très joyeux de le vivre en vrai... Comme un vrai enfant. »
« J’ai envie de dire que cela est assez original, car nous n’avons pas la présence physique des autres participant-e-s, mais que l’ambiance générale du groupe de vie est toujours au rendez-vous, même en numérique. Cette formation m’a permis d’apprendre que même en ligne, j’apprends toujours aussi bien. Je trouve que cela m’a permis d’être plus libre dans mes créations et de prendre conscience librement. Elle m’a empêché de ne pas pouvoir faire un peu plus connaissance et d’avoir une relation amicale avec les autres participant-e-s, même si en ligne on s’entendait bien, mais je n’ai pas vraiment ressenti cette connexion comme la formation en présentiel. »
« J’ai envie de dire que même si c’était à distance, il y avait toujours le temps de voir de nouvelles choses, d’entendre les avis des autres, tout était toujours très bien organisé. Cette formation m’a permis de découvrir de nouveaux moyens pour apprendre, de nouvelles approches, mais aussi au niveau des bricolages de pouvoir innover avec des objets qu’on utilise tous les jours, leur trouver une nouvelle utilité. Elle m’a empêché d’être totalement immergé dans les réflexions, à la maison nous avons la famille et autres, de plus être concentré toute la journée sur l’ordinateur peut être difficile aussi. »
« Cette formation CEMÉA en mode numérique m’a permis d’apprendre, expérimenter, discuter et rencontrer dans les meilleures conditions possibles en ce moment. C’était un moment riche et amusant, agréable et surprenant pour quelqu’un qui n’a pas un très bon rapport avec les visioconférences. Ça m’a permis de jouer, de dessiner, de créer, mais aussi de mettre en question mes opinions, d’échanger avec d’autres et de construire ensemble. Ça m’a permis aussi de découvrir des activités et des potentialités inattendues dunumérique. J’ai découvert même à travers des écrans, on peut être actifs et actives, qu’on peut intégrer le numérique et le réel, le papier et les pixels, les balades et le fauteuil pour rendre plus intéressant, plus riche et plus physique ce temps qui nous contraint au virtuel. »
« Elle m’a empêché de vivre la collectivité, de partager des espaces et des expériences que je trouve fondamentales en formation (mais aussi dans la vie), de rencontrer la corporalité des autres, chanter, jouer, avoir des tensions et les résoudre (ou pas). Le virtuel change les temps et la façon de se relationner, les bugs mais aussi la structure même de l’outil nous contraignent à des relations faussées, appauvries et dérangées par la lenteur de la connexion. C’est comme une vie en 2 dimensions, c’est vivable, mais la 3e me manque énormément. »
« Moi qui viens de vivre une formation CEMÉA en mode numérique, j’ai envie de dire... j’espère qu’on reviendra à la vie physique et pleine de rassemblements le plus vite possible. J’ai envie de partager des espaces, me rapprocher ou m’éloigner, ne plus passer mes journées sur une chaise, changer de lieu, rencontrer des inconnus, expérimenter des situations inattendues, passer un ballon, mélanger ma voix avec celle des autres... Cette formation m’a étonné positivement, c’était vraiment bien pensé et c’est peut être ça qui me rend encore plus convaincu de la nécessité de revenir au physique : même en utilisant au maximum les potentialités du virtuel, une formation en présence est extrêmement plus riche. »
Ces deux formations de qualification menées en distanciel attestent qu’il est possible de proposer des espaces d’éducation active de cette manière. Cela implique un gros travail en amont et encore plus d’écoute et d’attention de la part de l’équipe au moment même. Cela demande aussi, plus que jamais, de pouvoir s’adapter et réajuster les activités proposées en fonction du groupe. D’autres contenus peuvent alors s’envisager dans le cadre de la formation continuée, mais le mode numérique ne pourra pas remplacer le stage de base en résidentiel de si tôt.
Pour plus d’informations, n’hésitez pas à contacter le groupe Formation à l’Animation à formation-animation cemea.be