Plus de cinquante ans après le rapport Meadows1 qui prédisait les limites de la croissance économique dans un monde fini, les solutions techniques continuent d’être envisagées sans tenir compte des contraintes physiques et matérielles de notre Terre. La mondialisation et les « innovations » techniques (voitures autonomes, objets connectés, smart cities, Intelligences Artificielles et technologies de surveillance) poursuivent leur accélération, avec le soutien majoritaire des pouvoirs en place et des opérateurs, faisant fi des dérèglements climatiques.
Comment expliquer que l’impact du numérique, son coût humain et matériel, soit toujours négligé ? Pourquoi le cyberespace est-il encore aujourd’hui vu comme immatériel, lointain et mystique ? Nous essayerons dans cet article d’explorer la matérialité du numérique, de comprendre la complexité du progrès technique d’un point de vue philosophique et écologique et de réfléchir au rôle de l’éducation populaire dans une visée d’un numérique éthique et critique.
Pour tout résoudre, cliquez ici !
La plupart du temps, le progrès technique est automatiquement vu comme bénéfique. Il permettrait, non seulement d’améliorer nos vies, notre confort, mais aussi de résoudre des questions sociétales, comme l’épuisement des ressources, la dégradation des écosystèmes ou les émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, le progrès technique a toujours soulevé des questions éthiques, morales, religieuses et sociales. Dans son livre « Pour Tout Résoudre, Cliquez Ici : L’aberration du solutionnisme technologique »2, Evgeny Morozov, journaliste essayiste et chercheur d’origine biélorusse, critique le solutionnisme technique, paradigme qui défend que les effets indésirables du capitalisme proviennent de manques d’information, de coordination ou de solutions techniques. Le solutionnisme technique, c’est la croyance que nous trouverons bien une solution : mieux vaut aller de l’avant que regarder en arrière !3 Le solutionnisme technique privilégie donc l’usage des technologies, plutôt que leur critique.
Entre le solutionnisme technique défendu par les technophiles et la radicalité technophobe de certain-e-s, existe-t-il un chemin de la compréhension technologique, du choix conscient et de la nuance ?
Tentons de répondre à ce questionnement au regard de la crise climatique dans laquelle nous sommes actuellement.
« En 2015, le monde a adopté un nouveau programme de développement fondé sur les objectifs de développement durable (ODD). Atteindre ces objectifs exige une action coordonnée afin de relever les défis sociaux, environnementaux et économiques, sans oublier l’accent sur un développement inclusif et participatif qui ne laisse personne de côté. »4 - ONU
Antonio Gutterez, secrétaire général de l’ONU, tire depuis longtemps la sonnette d’alarme sur l’état de la planète : « Nous nous battons pour notre vie et nous sommes en train de perdre ». L’accord de la COP-27 de Paris, dont l’objectif était de limiter le réchauffement climatique, idéalement à 1,5° et maximum à 2°, ne sera pas atteint et pour le moment, « le monde est sur le chemin catastrophique de 2,7 °C », prévient-il.5 L’ONU lutte en effet pour la préservation des écosystèmes et est d’ailleurs à l’origine du GIEC6, du protocole de Kyoto et de l’accord de Paris7.
Ainsi, l’ONU met en tension les objectifs de développement durable et l’utilisation des Big Data. On peut lire sur son site dans un article intitulé « Les mégadonnées au service du développement » : « Le volume de données à travers le monde augmente de façon exponentielle. En 2020, 64,2 zettaoctets (Zo8) de données ont été créés, soit une augmentation de 314 % par rapport à 2015. Une demande accrue d’informations en raison de la pandémie de COVID-19 a également contribué à une croissance plus élevée que prévu. Les « données épuisées » constituent une grande partie de cette production : il s’agit de données collectées de manière passive provenant d’interactions quotidiennes avec des produits ou services numériques, y compris les téléphones mobiles, les cartes de crédit et les réseaux sociaux. Ce déluge de données numériques est connu sous le nom de mégadonnées. Leur volume augmente parce que les appareils mobiles, qui détectent et recueillent ces données, sont toujours plus nombreux et deviennent moins onéreux. En outre, la capacité mondiale de stockage de l’information a pratiquement doublé tous les 40 mois depuis les années 1980 ».9
Dans le même temps, l’ONU estime également que le Big Data devrait permettre aussi de jouer un rôle dans le développement de l’action humanitaire ou de lutter contre la sécheresse et les situations d’urgence climatiques : « Les données nécessaires à l’élaboration de politiques de développement mondiales, régionales et nationales font toujours défaut. De nombreux gouvernements n’ont toujours pas accès à des données adéquates relatives à l’ensemble de leur population. C’est plus particulièrement le cas des plus pauvres et plus marginalisés, ceux-là même sur lesquels les dirigeants devront se focaliser pour atteindre les objectifs d’élimination de l’extrême pauvreté et des émissions polluantes d’ici à 2030, en veillant à ne « laisser personne de côté ». Les mégadonnées recueillies peuvent mettre en évidence des disparités dans la société. Par exemple, les femmes et les filles, qui souvent travaillent dans le secteur informel ou à domicile, subissent souvent des contraintes sociales liées à leur mobilité et sont marginalisées dans la prise de décision tant publique que privée. Une grande partie des mégadonnées les plus susceptibles d’être utilisées pour l’intérêt public est recueillie par le secteur privé. Par conséquent, les partenariats public-privé vont probablement se généraliser. Le défi sera de s’assurer qu’ils sont viables et que des cadres clairs de réglementation seront en place pour définir les rôles et les attentes de toutes les parties. »
Si l’ONU y voit un risque en termes de respect de la vie privée et pointe le danger que représente le monopole privé de ces données par les GAFAM10, aucun mot n’est dit en termes de danger pour l’environnement.11 Pourtant, la part d’émission de CO2 du numérique était en 2018 de 4% des émissions globales mondiales12 (soit plus que le transport aérien) et elle devrait atteindre 8% en 2025 (soit plus que le transport automobile) et 14% en 2040.13 En comparaison, le transport aérien est 2,9%.14 Aujourd’hui, plus de 10% de l’électricité mondiale est consommée par le numérique. Ce chiffre devrait monter jusqu’à 20% d’ici 202515, voire pire. Selon les estimations, la consommation d’électricité double tous les quatre ans, ce qui mènerait les data centers à utiliser 10% de la consommation de la production électrique mondiale en 2030, contre 3% à l’heure actuelle.16 Notons que l’électricité mondiale est à 35% carbonée17.
Ce petit détour par les chiffres met en évidence la coexistence de narrations paradoxales : celles militant pour la transformation sociétale qu’implique la transition écologique et celles défendant des progrès techniques sans tenir compte de leurs impacts.
Cet état des lieux n’est pas un hasard, mais bien une volonté de l’industrie du numérique et un conflit d’intérêts. Par exemple, en 2012, le GeSI18 publiait le rapport SMARTer2020 prévoyant une diminution des 16,5% des gaz à effet de serre (GES) d’ici 2020 grâce aux TIC19. La prévision s’étant révélé fausse, le groupe a, depuis lors, publié un nouveau rapport, SMARTer203020, prédisant cette fois-ci des gains de près de 10% plus élevés que ceux émis par les TIC. Ce rapport séduisant est préfacé par Chritiana Figueres, secrétaire générale de 2010 à 2016 de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), organisation dont l’organe suprême est la bien connue « COP » (Conférence des Parties).
S’il est attirant de croire en ces chiffres, ils sont démentis par d’autres travaux. Françoise Berthoud, ingénieure de recherche informatique au CNRS, doute ainsi de la crédibilité de ces travaux : « C’est David contre Goliath. L’industrie a confisqué le discours sur les bénéfices environnementaux d’Internet. Elle a essayé par tous les moyens de vendre cette idée et elle continue ».21 D’où la difficulté de dénouer le vrai du faux. La crise climatique contemporaine n’est pas seulement un réchauffement des températures et l’augmentation des GES, c’est aussi l’épuisement de ressources (dont les métaux rares sont notamment utilisés pour produire les data centers), l’effondrement des écosystèmes et de la biomasse, des effets en chaîne, complexes et difficilement prévisibles.
Il faut donc être critiques vis-à-vis de la politique du big data comme solution possible à la crise écologique, tant elle semble contradictoire. En effet, en proposant une réponse issue du domaine technique, se développe un discours politique semblant ignorer ou oublier une partie de ses effets. La compréhension et la pensée critique sont souvent mises à mal par le numérique, tant semblent être miraculeuses les actions que nous permettent au quotidien nos objets numériques.22
Comprendre les mythes du numérique pour dépasser ses contradictions
Quand nous parlons du numérique, il est important de rappeler que ce terme évoque un ensemble de technologies protéiformes23. Celles dont il est le plus évident de tenir compte et celles que nous voyons, les smartphones, box, ordinateurs... Par exemple, la construction d’un smartphone nécessite l’extraction de 54 à 65 matières premières, principalement des terres rares. Cette production d’équipements est celle-là même qui concentre la majorité des émissions des GES, des ressources en matières premières et en eau.
Au-delà de la production d’éléments et d’objets concrets, il y a également toute l’énergie nécessaire au fonctionnement même du numérique. Un des mythes qui circule sur l’Internet est en effet qu’il est dématérialisé ! Heureusement, la sensibilisation de ces dernières années par des associations telles que Greenpace, le WWF, les Amis de la Terre, ou encore la parution de livres et de documentaires, amènent l’opinion publique à être plus conscientisée de son impact réel ! Internet, c’est surtout du matériel : de la production des appareils aux infrastructures, le coût énergétique est énorme ! Autrement dit, « dématérialiser, c’est matérialiser autrement »24. Nous pouvons même parler de multimatérialisation ou multiplication de la matière !
Cette réalité s’est construite sur des décennies et par accumulation. Aujourd’hui, 1,3 million de kilomètres de câbles parcourent nos océans, soit l’équivalent de 32 fois le tour de la Terre25. Des premiers câbles sous-marins pour le télégraphe, au premier ordinateur, au premier iPhone, l’accélération de nos capacités techniques donne le tournis. Internet et les ordinateurs ont, à eux seuls, révolutionné le monde des humains et par conséquent, leur environnement. L’humanité, qui avait stocké 12 zettaoctets de data en 2015, en générera 2 142 en 2035, soit près de 180 fois plus. Internet, c’est par minute 190 millions d’e-mails envoyés, 4,1 millions de requêtes sur Google, 1,3 million de sessions ouvertes sur Facebook, 765 000 de visionnage sur Netflix, 19 millions de textos envoyés.26
Démystifier le numérique, c’est également en comprendre son architecture. Comprendre qu’un like a un coût énergétique, que celui-ci est passé par des réseaux et qu’il est stocké à plusieurs endroits. Découvrir ce qu’est un moteur de recherche, que Google en est un, mais que d’autres existent et qu’ils ne sont pas neutres, le potentiel émancipant ou aliénant de l’outil étant déjà déterminé pour tout ou en partie dans sa conception : Peut-il être partagé ? Peut-il être modifié ? L’outil fait-il d’autres choses que ce pour quoi je l’utilise ?
Bien souvent, l’éducation au numérique donnée à l’école se résume en effet à une éducation « à un numérique déjà choisi » : toute l’étendue de la palette n’est pas disponible dans les classes ! Les élèves apprennent ainsi à utiliser la suite Microsoft Office sur un ordinateur utilisant Microsoft comme système d’exploitation. Une manière pour Microsoft d’entretenir et d’assurer son marché ! Or, il serait intéressant que les élèves puissent apprendre à se servir d’une pluralité de logiciels de traitement de texte, que les enseignant-e-s les informent sur les spécificités et les implications de différents systèmes d’exploitation, afin de pouvoir choisir en connaissance de cause celui qu’elles-ils désirent pratiquer.27
Comme souvent, les questions environnementales ne sont pas sans lien avec le reste. En effet, quand l’on sait que, d’après Mathieu Michel, secrétaire d’État à la digitalisation, presque un Belge sur sept aura besoin d’une aide numérique, la digitalisation est-elle souhaitable ?28
Cette digitalisation ne peut pas se penser sans contextualiser et politiser un peu le propos : les objets numériques ont une durée de vie limitée, les données polluent de plus en plus, les métaux sont de plus en plus rares. Les questions démocratiques sont forcément liées aux préoccupations écologiques et, notamment, avec l’idée de pouvoir dire non et de refuser un « tout numérique ». En octobre 2023, près de 200 associations manifestaient ainsi contre le projet d’ordonnance « Bruxelles numérique ».
Le rôle du secteur associatif comme représentant de la société civile et levier de transformation sociétale est essentiel, comme l’explique Thomas Citharel, permanent au sein de l’association d’éducation populaire aux enjeux du numérique Framasoft, interrogé par nos soins : « Framasoft signale que l’aliénation causée par la numérisation à marche forcée de nos vies entières (dématérialisation des services publics), le solutionnisme technologique prophétisé par les long-termistes et autres tech-bros, ainsi que les différences de littératie numérique, causent de nouvelles inégalités et discriminations. De manière générale, nos expériences numériques manquent d’accompagnement humain et paradoxalement, de lien social. Pour pouvoir échanger sur ces sujets, il faut une certaine démystification du numérique, ce que peut apporter l’éducation populaire, à travers la compréhension du travail des humains derrière le matériel et les infrastructures, des algorithmes, des modèles économiques. Cela permet de plus facilement savoir accepter quand un service est en panne, ou qu’il impose un quota en termes de ressources disponibles. L’éducation populaire au numérique doit accompagner les populations, en particulier les enfants et les jeunes que l’on qualifie digital natives, mais en réalité plus vulnérables, vers une utilisation avisée et raisonnée du numérique. Nous pourrions par exemple avoir l’impression que le progrès technique et le « sens de l’histoire » sont inéluctables, mais certaines technologies ont été des échecs parce qu’elles n’ont pas suscité l’intérêt (Google Glass, Metaverse…). Il est maintenant nécessaire de faire ces choix de manière conscientisée et collective, par exemple sur les possibilités et les avantages issus de la démocratisation des objets connectés en regard du coût écologique à venir. »
Ainsi, les Objectifs de Développement Durable doivent inclure une préoccupation autour de la gouvernance. Historiquement, le Développement Durable comprenait quatre piliers : l’écologie, l’économie, le social et la gouvernance. Avec le temps, le dernier pilier a eu tendance à disparaître. Le lien entre le fait de pouvoir décider pour soi, à être auteur-autrice plutôt que simple consommateur-consommatrice nous semble pourtant essentiel. Le lien entre l’éducation et le politique est à rétablir. Pour un numérique choisi demain, il faut des citoyen-ne-s capables d’en comprendre les enjeux aujourd’hui, capables de résister et de questionner.
Penser l’environnement numérique en éducation
Comment réfléchir les usages numériques dans un groupe ? Quelles règles de fonctionnement collectif mettre en place, sachant que le numérique nous accompagne partout et qu’il y a une part sociale et une part affective dans le choix de nos applications, dans nos usages ? Pour influencer et modifier des pratiques éducatives, il est nécessaire de prendre en compte ces dimensions affectives et sociales importantes, surtout chez un public d’adolescent-e-s ou de jeunes adultes, en formation, en animation ou en classe.
Dans les pratiques d’éducation active, la notion de contrainte féconde vient remplir une double exigence : celle de l’adhésion du groupe et de la volonté individuelle. La contrainte féconde apporte une limite, un cadre, une direction qui permet. Elle n’interdit pas, elle est là dans un but, qu’il soit individuel ou collectif. Elle permet la compréhension plus qu’elle ne condamne, l’intention étant de mobiliser la personne dans sa globalité et de faire sens. Si l’on pense à l’environnement et au numérique, c’est ce qui fait défaut aujourd’hui, la contrainte perçue autrement que comme une privation de liberté. Il ne suffit pas de contraindre des individus selon une logique gestionnaire pour qu’il trouve un sens à la règle. Pour que la règle puisse trouver du sens, elle doit conjuguer plusieurs désirs et plusieurs besoins aux individus qui composent le groupe, mais également permettre l’appropriation, la négociation des personnes, notamment de ceux et celles qui seraient le plus en résistance à la règle.
En effet, pourquoi limiter ses usages du numérique ? Pourquoi arrêter individuellement de renouveler ses équipements informatiques, si les programmes les rendent obsolètes ? Le lien entre l’injonction individuelle à la décroissance et le progrès technologique est incohérent. Au sein de nos sociétés de consommation, le désir de changement se heurte bien souvent à la volonté de faire partie du groupe, de ne pas être à la marge, au désir créé pour l’acte de consommation. Le plus souvent, les utilisateurs et utilisatrices ne se questionnent même pas : c’est la majorité qui l’emporte, à savoir les GAFAM, qui imposent leurs règles. Ainsi, celles et ceux qui refusent ces outils pour des raisons économiques, philosophiques ou morales se retrouvent a priori exclu-e-s.
« L’emballement technologique sans fin a notamment pour conséquence indirecte l’obsolescence prématurée (technique, mais aussi indirectement sociale) des terminaux des individus. L’étape de fabrication d’équipements numériques étant de loin la première responsable de l’empreinte écologique du numérique, c’est donc en premier sur les causes de ce renouvellement qu’il faut agir. Comme il est nécessaire de conscientiser les problématiques que nous soulevons pour chaque usage du numérique, et que les actions de sensibilisation touchent beaucoup à la culpabilisation des individus, il est difficile de trouver des réponses collectives qui déboucheraient sur une vraie politique publique. Au-delà des pouvoirs publics, nous encourageons et sommes ravi-e-s de trouver une dynamique dans la réappropriation du numérique dans les organisations œuvrant pour le progrès social et pour une justice sociale et écologique. » - Thomas Citharel, Framasoft
C’est donc bien dans l’éducation populaire et dans l’action collective que l’on peut retrouver du pouvoir d’agir. C’est dans le fait de se réapproprier ce qui avait été pensé comme un outil commun décentralisé, auquel chacun-e peut participer sans avoir besoin d’autorisation ni de hiérarchie. Pour cela, le village global d’Internet doit être un monde-projet,29 c’est-à-dire un monde dans lequel chacun-e peut participer en tant que sujet et non en tant qu’objet. Un monde auquel on participe et où la participation est génératrice de solidarités. À l’inverse, les GAFAM concentrent aujourd’hui le pouvoir et considèrent leurs utilisatrices et utilisateurs comme des ressources, vendant leurs données personnelles pour influencer des décisions (de vote, notamment) ou pour faire consommer. Internet s’impose comme la réponse à tous nos besoins aujourd’hui et nous crée, en plus, des besoins artificiels.30
Lutter pour la justice sociale et climatique
Pour s’affranchir de cette perspective, revenir au plaisir et bidouiller, l’éthique du hacking peut redonner du sens au virtuel et à la réalité physique. Il y a de la satisfaction et de la joie dans le fait de créer soi-même une webradio, d’héberger ses données, de comprendre les alternatives libres qui existent, face au numérique privateur de libertés !
« Actuellement, les convergences du mouvement libriste et de l’activisme climatique se retrouvent surtout sur des questions de conception et d’utilisation d’outils low-tech, de réemploi du matériel et de sobriété numérique. De son côté, Framasoft se distingue en mettant à disposition à grande échelle des ressources libres (outils en ligne, publications, interventions, documentations) pour empouvoirer et autonomiser les collectifs militants. Nous mettons également en place des actions archipélisation et développons notamment le projet Émancip’Asso pour que les hébergeurs d’outils numériques éthiques accompagnent les associations vers un numérique plus vertueux. Vous l’aurez compris, notre rôle n’est pas en première ligne, et l’importance de la militance libriste pourrait être largement relativisée par rapport à l’urgence climatique. Nous pensons toutefois que les efforts à faire vis-à-vis des enjeux environnementaux du numérique s’inscrivent dans une critique plus générale, dans la mesure où il s’agit du même système capitaliste qui enrichit les multinationales du numérique. De plus, on constate qu’il est de plus en plus difficile de mener une lutte contre un système (pollueur, écocide, etc.) en dépendant des outils numériques créés par et pour ce système. Nous croyons donc qu’il est essentiel de fournir des outils numériques qui permettent de s’autonomiser en s’émancipant des géants du web et de leurs arrangements avec le pouvoir en place. » - Thomas Citharel, Framasoft
En conclusion, pour pouvoir conjuguer numérique et environnement, il ne faut pas laisser uniquement à quelques-un-e-s le droit de choisir notre avenir. Ceux qui sont aujourd’hui considérés par certain-e-s comme les pères d’Internet, Tim Berner Lee et Robert Caillaux, avaient une vision où l’intérêt général primait sur l’intérêt privé de quelques milliardaires. Pour permettre cette transition, nous devons articuler usage individuel et politique, éducation et législation. Le numérique responsable, la sobriété numérique doivent, non seulement imposer des restrictions aux entreprises et être force de propositions et de régulation, mais également « faire sens » collectivement.
Le rôle des éducatrices et des éducateurs est de proposer des espaces d’expérimentations, de « faire ensemble », de « faire avec », de compréhension de la technologie et de ses impacts, dans une perspective non pas de rentabilité, mais bien d’émancipation.
Actuellement, le numérique est souvent une béquille nous permettant d’aller plus vite, de ne pas nous perdre en rue, de communiquer en une image, de stocker rapidement nos données...
Et si nous acceptions de perdre en vitesse pour gagner en humanité ?

Les CEMÉA
1 « Les Limites à la croissance (dans un monde fini) », connu sous le nom de « Rapport du club de Rome », ou encore de « Rapport Meadows », du nom des écologues Donella et Dennis Meadows, chercheur et chercheuse au MIT, publié en 1972.
2 Evgeny Morozov, « Pour Tout Resoudre, Cliquez Ici : L’aberration du solutionnisme technologique », FYP, 2014.
3 Emmanuel Macron avait, par exemple, tourné en ridicule les opposant-e-s à la 5G en déclarant qu’« [ils préféraient le modèle amish et le retour à la lampe à huile », « Macron défend la 5G contre « le modèle Amish » de la gauche », lesechos.fr, 15 septembre 2020.
4 « Les mégadonnées au service du développement », ONU : https://www.un.org/fr/global-issues/big-data-for-sustainable-development
5 Notons ici que +1,5 degré signifie, par décennie et par rapport au 19e siècle, 4,1 fois plus régulièrement des vagues de chaleur, plus chaudes que celles enregistrées auparavant, des précipitations fortes 1,5 fois plus souvent et jusqu’à 55 cm d’élévation du niveau de la mer. - « Climate change 2021:The physical science basis. Contribution of working group I to the sixth assessment report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) », Cambrige Univerity Press, 2021.
6 Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC ou IPCC pour l’anglais Intergovernmental Panel on Climate Change) est un organisme intergouvernemental chargé d’évaluer l’ampleur, les causes et les conséquences du changement climatique en cours.
7 Pour en savoir plus : https://www.un.org/fr/global-issues/climate-change
8 1 000 000 000 000 000 000 000 octets ou 1021 octets.
9 « Les mégadonnées au service du développement », ONU : https://www.un.org/fr/global-issues/big-data-for-sustainable-development
10 Google, Amazone, Facebook, Apple, Microsoft.
11 Pour en savoir plus : https://www.un.org/fr/global-issues/big-data-for-sustainable-development
12 Journée du dépassement : Internet est le 3e « pays » le plus énergivore, RFI, 1er août 2018.
13 « Empreinte environnementale du numérique mondial », Greenit, 2019.
14 Lee, D. S., Fahey, .... (2021). The contribution of global aviation to anthropogenic climate forcing for 2000 to 2018. Atmospheric Environment, 244, 117834 : https://doi.org/10.1016/j.atmosenv.2020.117834
15 « Empreinte environnementale du numérique mondial », Greenit., 2019
16 « Data center : l’impact des infrastructures sur l’environnement et les solutions possibles », lebigdata.fr, 18 mars 2021, consulté le 5/01/2023 : https://www.lebigdata.fr/data-center-impact-environnement
17 Guillaume Pietron, « L’enfer numérique, voyage au bout d’un like », p. 44, Les liens qui libèrent, 2021.
18 Global e-Sustainability Initiative, lobby composé entre autres de Huawai, Detische Telekom, AT&T, IBM...
19 Technologie de l’Information et de la Communication.
20 « #SMARTer2030 : ICT Solutions for 21st Century Chllenges », GeSI et Accenture Strategy, 2015.
21 Entretien de Guillaume Pietron avec Françoise Berthoud, « L’enfer numérique, voyage au bout d’un like », p. 43, Les liens qui libèrent, 2021.
22 À ce propos, voir Simondon, philosophe de la technique, notamment le livre « Sur la Technique », Paris, PUF, 2014.
23 La définition est empruntée à Louis Derrac : https://louisderrac.com/wp-content/uploads/2019/09/Pour-une-definition-du-numerique_Vitali-Rosati.pdf
24 Florence Rodhain, « La nouvelle religion du numérique », EMS-Libre & Solidaire, 2019.
25 De Condé, C. « Les dessous d’Internet : comment les câbles sous-marins connectent le monde », La Libre.be., 23 février 2022 : https://www.lalibre.be/economie/conjoncture/2022/02/14/les-dessous-dinternet-comment-les-cables-sous-marins-connectent-le-monde-PDJ7GZPK5JEKNAC7Q7N2PLLBNY/
26 D. Pietron, 2021, p. 335.
27 Notons ici que les logiciels libres permettent une durabilité plus grande des ordinateurs, de par leur légèreté logicielle. D’autre part, certains systèmes libres comportent un gain écologique non négligeable en ne captant pas plus de données que nécessaire et en ne les stockant pas plusieurs fois. Ainsi, Framasoft prévoit une destruction automatique de certaines données, sauf si l’utilisateur-utilisatrice prévoit de les sauvegarder plus longtemps.
28 Une étude de la fondation Roi Baudouin annonce 48 % de la population en difficulté avec les démarches administratives numérisées : https://kbs-frb.be/fr/malgre-la-numerisation-croissante-pres-dun-belge-sur-deux-en-situation-de-vulnerabilite-numerique
29 Lire à ce sujet l’article de Philippe Meirieu sur l’éducation à l’environnement, « Éduquer à l’environnement : pourquoi ?Comment ? - Du monde-objet au monde-projet » : https://www.meirieu.com/ARTICLES/MONDE-OBJET-PROJET.pdf
30 « La face cachée du numérique - Réduire les impacts du numérique sur l’environnement », Réseau Idée, 2019 : https://www.reseau-idee.be/fr/la-face-cachee-du-numerique

