Présentation des intervenantes :
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Sabine Devergnies |
Marie-Louise Maes |
Arlette Jodogne |
Elle découvre les CEMÉA en 1983 pendant sa formation d’institutrice primaire, en participant au stage de base [1] obligatoire de son école normale. Dès 1984, elle est animatrice de centres de vacances, puis coordinatrice et formatrice, principalement dans la formation des animateurs et animatrices volontaires. Elle coordonne le groupe de réflexion pédagogique « Chants et activités musicales » à la fin des années 90. [1] Première étape de la formation d’animateurs-animatrices volontaires, organisée le plus souvent sur huit ou dix journées résidentielles. |
Après un premier contact avec les CEMÉA en 1963 lors d’un stage de moni-teurs-monitrices obligatoire à l’école normale, elle ne cesse d’être active dans le mouvement. Elle encadre de nombreux stages de base, stages de perfec-tionnement, formations et week-ends. Elle co-assume également le Service Membre de l’association et participe au groupe « Jeux ». Elle est toujours membre du Conseil d’Administration. |
Après un premier stage CEMÉA bouleversant avec l’école normale, fin des années 60, elle rencontre différent-e-s instructeurs et instructrices (ainsi nommé-e-s à l’époque) lors de multiples stages et week-ends de perfectionnement. C’est une révélation. Elle s’engage alors aux CEMÉA et fait ses premiers pas comme formatrice, accompagnée avec clémence et générosité, tout en participant aux réunions hebdomadaires, ouvertes à tous et toutes. Après quelques centres de vacances et stages de base, elle participe, enthousiaste, à la création du groupe « Petite Enfance », pour lequel elle encadre de nombreuses formations. |
Pourquoi est-ce qu’on chantait aux CEMÉA ?
Marie-Louise Maes : Je pense que, traditionnellement, cela s’est basé sur ce qui était fait tout au début en France : ils faisaient des systèmes de veillées « genre scouts » où on chante autour du feu de bois. Et puis, ceux qui ont créé les CEMÉA belges ont rencontré les CEMÉA français dans les maquis de la résistance pendant la guerre 40-45. Là, évidemment, dans les maquis, les gars chantaient autour du feu, c’était rassembleur. Peut-être que c’est de là que c’est parti. En fait, c’est ça qui est intéressant dans le chant, en stage de base : le côté rassembleur !
Arlette Jodogne : Le chant permet aussi de refaire groupe, mais sans le pouvoir des individus. Dans un groupe, il y a toujours les fortes personnalités, les gens qui, pour ce sujet-là, ne sont pas à l’aise, etc. Il y a donc tout le temps des déséquilibres. Le chant peut ramener de l’équilibre parce que, dans cette activité, il n’y a pas (ou moins) de déséquilibre. Et quand les personnes connaissent le chant, le formateur est juste celui qui fait en sorte que ça marche jusqu’au bout. En gros, parce que c’est une activité qui permet de s’exprimer, mais pas individuellement. On est ensemble en train d’avoir l’occasion de faire sortir sa voix.
C’est très important parce que, finalement, on demande beaucoup aux gens de parler en formation, de s’exprimer, mais la plupart du temps c’est une parole individuelle. Même si on représente un groupe, on parle tout seul. C’est également une activité collective où tout le monde est sur le même plan parce qu’on ne demande pas à ceux qui chantent bien de chanter seuls ou à part. Il y a quand même une forme d’égalité. On commence les chants à zéro, même pour ceux qui les connaissent : ce n’est pas eux qui vont montrer aux autres. Donc, on réapprend tous à partir de zéro. Ça, c’est quelque chose d’assez exceptionnel aussi, qui fait que les gens, mêmes ceux qui ont peur de chanter ou de rater, se sentent emportés par le fait que l’on chante tous ensemble. Et que personne ne va venir dire : « Attends, écoute un peu ! Chante un peu pour que j’écoute si tu fais bien ! ». Ça, ça rassemble vraiment. Il n’y a pas de comparaison, il n’y a pas les bons et les mauvais.
Marie-Louise Maes : Pendant un moment de chant, tout le monde est au même endroit, dans les mêmes conditions. Tout le monde est là en même temps pour faire quelque chose ensemble. C’est une activité où on peut se retrouver et elle est, de toute façon, réussie parce que nous ne posons pas de jugement sur ce qui est bien chanté ou mal chanté. Ça crée une espèce de lien dans le groupe.
« Pendant un moment de chant, tout le monde est au même endroit, dans les mêmes conditions. Tout le monde est là en même temps pour faire quelque chose ensemble. »
Sabine Devergnies : Le chant permettait, d’abord, de créer un vécu de groupe. Ces chants allaient faire partie de notre vie de groupe et rester le souvenir propre au groupe.
Arlette Jodogne : Ce qui me paraît aussi important, c’est que tous les gens, sans y croire au début, réussissent à apprendre les chants. Au début, ils demandent toujours pour avoir un papier et, finalement, ils n’ont pas de papier et ils apprennent le chant. Ils se rendent compte qu’ils ont retenu dix couplets ou le chant complet. Et parfois, après, dans les couloirs, c’est une personne toute seule qui lance et puis les autres reprennent. Et cette personne toute seule, ce n’est pas forcément quelqu’un de super à l’aise et grande gueule. Et ça aussi, c’est très chouette. À un moment donné, on partage un répertoire. Après quelques temps, tout le monde connaît tous les chants. Parfois, certains chants sont un peu plus compliqués, on met un peu plus de jours à apprendre tous ensemble. C’est quand même une nouvelle capacité : chanter, utiliser sa voix dans le chant. Pour beaucoup, à part chanter des chansons de la radio, il y en a qui ne chantent jamais. C’est une nouvelle capacité, de type corporel, car c’est finalement pouvoir utiliser son souffle, sa voix, son corps… Dans le même esprit, je trouve que c’est intéressant que, dans tout ce qu’on offre comme éventail d’activités (manuelles, ludiques, corporelles), il y ait le domaine de la voix. Ça complète un peu le panel des choses que l’on propose.
Après, il y a les chants eux-mêmes. C’est une façon d’aborder toutes sortes de choses par le langage, mais aussi par la musique. Il y a plusieurs contenus : les paroles un peu rigolotes, les paroles un peu anciennes, une façon de parler que l’on n’utilise plus dans la vie, une culture traditionnelle. Parfois, cela raconte une histoire. Ça contribue à quelque chose au niveau de la langue. Écouter des sons et essayer de les reproduire est une opération particulière. Avec notre façon de faire où une seule personne chante, les gens écoutent clairement des sons qu’après ils vont essayer de reproduire.
C’est très intéressant au niveau de l’écoute et du développement de l’oreille, notamment pour les enfants.
Certains, très jeunes, ne trouvent pas là où mettre leur voix pour chanter. Quand ils chantent, ça sonne autrement. Puis petit à petit, au fur et à mesure, tu vois que ça évolue. Ils arrivent à trouver, ils cherchent sans s’en rendre compte. Après, il y a juste le plaisir ! Le plaisir à tout niveau. Le plaisir au niveau musical, le niveau de faire avec les autres, y arriver… De la détente aussi. Je trouve que l’on ressent cette détente dans les groupes, surtout en stage de base quand, parfois, il y avait un vécu un peu difficile et puis, qu’après un moment de chant, on sentait vraiment une différence dans le tonus des gens.
Comment cela se passait en formation, et particulièrement, en stage de base ?
Sabine Devergnies : Les participants étaient assis en arc-de-cercle face au formateur, qui d’abord chantait
l’ensemble de son chant et ensuite entamait la phase d’apprentissage, phrase par phrase, puis couplet par couplet. Les participants répétaient chaque jour en intégrant les paroles de mieux en mieux. Un support écrit leur était aussi proposé par l’intermédiaire de fiches à recopier. À la fin du stage, on faisait un enregistrement.
Marie-Louise Maes : On le plaçait traditionnellement (ce n’était pas obligatoire, mais c’était quand même une bonne tradition) après le petit-déjeuner. C’était quasiment tout le temps en début de matinée ou, en remplacement, des rondes. La première activité de la journée, c’était donc le chant ! On se retrouvait de manière frontale, avec le premier formateur, qui allait faire chanter, qui demandait : « C’est bon ? Ça va ? Vous avez passé une bonne nuit ? Tralali tralala… ». Ça durait deux ou trois minutes. On n’engageait surtout pas de grosses discussions et s’il y avait quelque chose de très important, on en tenait compte et on en parlait plus tard. Mais on entamait le chant ! Le formateur qui lançait le chant chantait la chanson en entier, sauf s’il y avait 36 couplets. Dans ce cas-là, on n’en faisait que deux ou trois. Le formateur ne demandait rien d’autre pour que chacun puisse simplement écouter. Après, on procédait à l’apprentissage, par petits morceaux à la fois, en répétant.
Les mots qui n’étaient plus tellement utilisés dans la langue française, il fallait les expliquer. Il fallait, éven-tuellement, mais pas dans de longs discours, donner un peu le contexte dans lequel ce type de chant était écrit. Par exemple, tous les chants avec les bergères, les bergers, les marquis, ce sont des trucs qui datent d’avant ou pendant la révolution française et qui montrent l’opposition du peuple qui se moque des nobles. En stage de base, tous les formateurs animaient des chants, tous les jours. Mais c’est vrai qu’il y avait des exceptions. En fait, dans les stages liégeois, les Liégeois travaillaient autrement que les Bruxellois : il y avait ceux qui chantaient, ceux qui animaient les jeux, les ateliers...
Pour les Bruxellois, tout le monde participait à tout. Moi, j’ai toujours connu ça. Et c’est devenu la norme parce que, en fait, en centre de vacances, avec ton groupe, même si toi, tu n’animes pas, tu es quand même là. Tu ne restes pas dans ta chambre pendant que les enfants sont en acti-vité et sont occupés par d’autres. C’est pour avoir une globalité et parce que, en équipe, c’est important que tout le monde soit là, présent dans tous les moments. C’était dans les années 70. On chantait devant le groupe et avec le groupe. On s’arrangeait pour que, dans les équipes où il y avait des personnes qui ne chantaient pas, elles enseignent au moins un chant, même une petite chanson très courte. Chacun devait être meneur d’un chant à un moment donné. Ou alors, on leur proposait de diriger des chantsqui étaient déjà connus. Cela montrait que tout le monde, selon ses possibilités, et pas juste celui qui aime chanter ou qui a des facilités vocales, pouvait chanter ou enseigner des chants. Tout le monde, avec ses possibilités, chante des chants du mieux qu’il peut et en souriant.

« CELA MONTRAIT QUE TOUT LE MONDE, SELON SES POSSIBILITÉS ET PAS JUSTE CELUI QUI AIME CHANTER OU QUI A DES FACILITÉS VOCALES, POUVAIT CHANTER OU ENSEIGNER DES CHANTS. »
Arlette Jodogne : Au niveau des apprentissages techniques, quand moi j’ai commencé, c’était hyper exigeant, hyper pointilleux. Moi, comme j’ai une bonne connaissance musicale, je suis sensible quand ce n’est pas juste ou je suis sensible au fait que, par exemple, certains chants qui voyagent de formation en formation sont différents. J’attache une certaine importance à ce qu’on chante tous la même chose. Sinon après, on se retrouve dans un autre endroit, dans une autre formation, un week-end, et on n’arrive pas
à chanter ensemble, car on connaît tous une version différente. Je ne suis pas pour le purisme, mais je suis pour qu’on essaye d’avoir la même version. L’idéal est de s’en référer à la partition, mais il faut avoir des connaissances pour pouvoir le faire ou avoir quelqu’un qui sait déchiffrer.
Au tout début que j’étais aux CEMÉA, quand on enseignait un chant, on avait un pipeau. C’était, je dirais, dans les années 70, tout au début que je suis arrivée : on n’était pas obligé, mais on était poussé à apprendre à fabriquer un pipeau. Moi, je suis allée aux soirées pour apprendre à fabriquer un pipeau parce qu’on considérait que c’était la base pour chanter juste, tous la même chose. Tout le monde avait son propre pipeau dans un petit étui. Je ne l’ai jamais terminé mon pipeau ! Quand on apprenait un chant, le formateur donnait la note avec son pipeau. Cela servait surtout quand on avait du mal à retrouver la première note ou quand elle était plus difficile. Et pour les chants à deux voix, parfois quand on tâtonnait un peu ou que l’on ne commençait pas au bon endroit et que ça sonnait moche.
Quand tu animais des moments de chant, comment les dirigeais-tu ?
Arlette Jodogne : Il y a, évidemment, l’aspect physique d’abord. Être à la bonne distance, être debout, voir tout le monde, que tout le monde soit installé de façon à se voir et s’entendre. Au niveau du son, par exemple, c’est important que cela ne soit pas une ligne droite pour que les sons se renvoient, de ne pas être face les uns aux autres. Il y a
déjà toute une question de position. Les gestes doivent être clairs : les gestes de début, mais aussi ceux qui marquent « Maintenant, c’est moi qui chante, maintenant c’est vous ». Pour être vraiment ensemble. C’est une chose à laquelle j’étais vraiment attentive. C’est important aussi que les personnes aient entendu le chant dans son entièreté pour avoir le temps de se familiariser avec la mélodie, le rythme, mais aussi avec les découpes. « Ah tiens, il y a un couplet ! », « Ah, ça, c’est le refrain qui arrive. » Moi, j’aime bien, quand on m’enseigne un chant aux CEMÉA, attendre ce qui va venir après, la suite de l’histoire. Je crois que, quand moi, j’ai appris à enseigner les chants aux CEMÉA, je trouvais que c’était important que les gens comprennent le chant, qu’ils aient une compréhension de l’histoire. Par exemple, donner un contexte : c’est une chanson qui était chantée à tel endroit, qui vient de tel pays. D’expliciter quelque chose aussi au niveau des paroles. S’il y a un mot qu’ils ne comprenaient pas, je ne l’expliquais pas la première fois. Je l’expliquais après, surtout si c’était un mot ancien.
C’est important qu’ils puissent, dès qu’ils entendent un chant, l’apprendre jusqu’au bout. Parfois, on est pris par le temps, on n’y arrive pas et on se dit qu’on fera les autres couplets demain. Mais idéalement, j’aime bien qu’ils aient plus ou moins mémorisé le chant à la fin de la séance. Ça donne une autre idée. Sinon, ce chant a moins d’intérêt. La variation de la difficulté des chants est aussi importante. Qu’il y ait un peu de tout au niveau du répertoire. À la fois des chants humoristiques, par exemple, des chants traditionnels où il y a peut-être du français ancien, des histoires avec un contenu qui peut les toucher. Ou il pourrait y avoir une romance dans l’histoire ou quelqu’un qui est parti. C’est intéressant qu’un chant se fasse l’écho des émotions de ceux qui sont en formation ou des enfants en centre de vacances et qui sont séparés. Il faut aussi qu’il y ait plein de choses qui soient là pour rien, gratuites, juste pour s’amuser ou pour le rythme.
Sabine Devergnies : Je dirigeais face au groupe en battant la mesure avec les mains, en lançant et arrêtant le chant avec des gestes, toujours les mêmes pour que les participants les comprennent clairement. Il fallait éviter de parler, nous étions là pour chanter, alors on chantait.
Marie-Louise Maes : Pour animer un chant, quand c’était un moment d’apprentissage le matin, c’était debout devant le groupe. Il y avait aussi des moments où on chantait le soir, pour terminer la journée, on prenait un ou deux chants. Une fois, on a fait une séance d’apprentissage en fin de soirée et tout le monde était dans la grande salle à Heusy, assis sur des chaises. Moi, j’étais assise légèrement décentrée mais dans l’espace, j’ai commencé à enseigner, comme ça, « Passe la dormette ». C’était très chouette. C’est un des bons moments dont je me souviens : un chant à 10h du soir ! Pour l’apprentissage, on l’a repris le lendemain matin pour perfectionner. La manière d’animer était différente quand on était dans un moment d’apprentissage ou pas. Dans un autre moment, c’était chanter pour le plaisir de chanter ensemble.
Peux-tu nous raconter un moment de chant qui t’a marquée ?
Marie-Louise Maes : J’ai fait un stage où il y avait plus de quarante personnes. On était dans un lieu merdique où on n’est plus jamais allé, à Sprimont, mais la nature était très belle. Il y avait, en parallèle, des centres de vacances. Le problème, c’est qu’il y avait une très mauvaise isolation. Les centres de vacances se faisaient réveiller à 7h30 en musique. Nous, qui essayions de prôner le réveil échelonné, on en profitait ! On ne pouvait pas non plus faire d’activité où les chaises bougeaient trop tard, parce qu’on réveillait les enfants qui étaient en-dessous de nous. On était au 3e étage et on surplombait les arbres. De la salle qu’on occupait, on en voyait la cime. Je me souviens que j’ai entamé la première séance de chants avec « Vent frais ». J’ai commencé devant les stagiaires un peu médusés. La moitié du groupe était composée de personnes de Molenbeek. Je voyais leur tête… Mais je n’ai pas perdu mon
sourire et ça a bien marché. C’était un bon moment pour moi que ça fonctionne bien. Et beaucoup plus tard, lors du premier week-end qui suivait ce stage de base, il y avait un stagiaire qui était infernal. Déjà au stage, il
avait été infernal. À ce week-end, à la Marlagne, sur un petit trajet qu’on faisait tranquillement pour revenir d’un endroit où on avait joué, il me dit : « Tu sais ce que j’ai aimé au stage ? Quand tu as chanté cette chanson, « Vent
frais » ! ». Et il en était vraiment baba. Alors, le plaisir que j’avais eu pendant le stage, à ce moment de chant qui s’était bien passé, a été décuplé. Ça m’a fait vraiment plaisir.
À un autre stage de base, j’étais avec Didier, Sabine, Fred et Nicky en surnombre. Voilà que Sabine enseigne une chanson très chouette : « Le jardinier indifférent ». Et j’entends deux stagiaires molenbeekois qui étaient assis, pas juste à côté de moi mais très proches. J’en entends un qui dit à l’autre : « Je ne comprends rien à ce qu’elle raconte ! » Et l’autre lui répond : « T’occupe ! C’est quand elle était petite ! » Et ils ont chanté gentiment sans comprendre ce qu’ils chantaient ! Une fois, pour une activité « Petits bateaux », à la Marlagne, on était partis le soir avec les stagiaires et Annie et nos petits bateaux. On a allumé nos bougies au bord du lac et on a mis nos constructions à l’eau avec les bougies. Les gens d’eux-mêmes ont entamé l’un ou l’autre chant. On a alors chanté calmement ensemble. C’était aussi un moment vraiment chouette.
Sabine Devergnies : Plusieurs moments m’ont marqué. Il y avait un moment que j’attendais en stage. Celui où pendant un atelier, les stagiaires commençaient à entonner un chant. Pour moi, cela voulait dire que le groupe allait bien, qu’il avait pris vie, car ils avaient maintenant un repère commun, collectif. Si ce n’était pas lors d’un atelier, cela pouvait être également lors d’un temps libre ou au détour d’un couloir. En stage, j’adorais tout simplement commencer ma journée par ce moment. Nous avons eu aussi de grands moments de rire face à certains collègues habités par leur chant matinal. Par exemple, sans méchanceté aucune, « Un jour à Paris » interprété par Marie-Louise !
Arlette Jodogne : Je n’ai pas un moment spécial, mais ce que j’ai toujours aimé, chaque fois, en tant que formatrice ou participante, c’était quand on sortait de l’ordinaire, c’est-à-dire quand on chantait autrement que tous les jours, après le repas ou le petit-déjeuner. Je me souviens particulièrement d’un stage de communication non-verbale où j’étais participante pendant dix jours à Rossignol, avec une équipe de choc. Dans ce stage, il y a eu beaucoup de surprises dans l’animation, pourtant, moi je connaissais déjà un peu les CEMÉA. Les formatrices ont fait beaucoup de variations. Notamment avec Annie qui avait beaucoup de créativité et qui se permettait de sortir un peu des sentiers battus.
C’est arrivé plusieurs fois qu’on parte faire une activité à l’extérieur et puis, au milieu d’un champ, les deux formatrices commençaient à lancer un chant, comme ça, pour nous, juste pour nous. Évidemment, il y avait déjà une atmosphère particulière dans ce stage. Il y avait beaucoup d’adultes, contrairement à d’autres stages. Adultes, je veux dire de plus de trente ans, trente-cinq, quarante. Il n’y avait pas beaucoup de jeunes. Donc ça, je trouvais que c’était très chouette. Et j’ai reproduit ça parfois. Au milieu d’une promenade dans le parc de la Marlagne, à un moment donné, comme ça, avec un formateur ou deux, on lançait un chant. Et on ne l’enseignait pas ce chant, ou bien on l’enseignait plus tard. Quand on le chantait à deux voix à deux, c’était chouette pour les participants. J’ai un souvenir merveilleux, d’une fois où j’étais formatrice dans un stage de base à Heusy, où on ne va plus maintenant. Il y avait, dans ce très vieux bâtiment, qui était un ancien couvent, un endroit où on n’allait jamais. C’était à l’étage, un très large escalier pour faire passer dix personnes qui menait à un grenier. Le dernier soir, à cet endroit, avec tous les participants, très proches physiquement parce qu’on était beaucoup, plus ou moins trente, on a animé les chants. C’était très chouette.
Un chant que tu appréciais particulièrement chanter ?
Sabine Devergnies : Celui qui me revient de temps à autre, c’est « Les Caravelles ». Et, pour les plus petits, la star reste « Monsieur Moustique ».
Arlette Jodogne : J’aime tous les chants à deux voix ou trois. J’adore ! Les chants à deux voix, c’est quand même quelque chose de merveilleux : quand on arrive à chanter ensemble tout en ne chantant pas la même chose. Symboliquement, c’est très intéressant. On fait quelque chose de commun, mais pas avec la même chose au départ. Souvent, dans certains chants à deux voix, on ne commence pas en même temps, on doit rentrer ou sortir… Il y a tout un travail symbolique. J’aime tout particulièrement quand il y a des hommes, des voix d’hommes. Donc, j’aime bien « Bon charbonnier » par exemple, quand on sait faire toutes les voix. J’aime aussi les chants à danser, parce qu’après on en fait autre chose. Il y en a un qui s’appelle « Dans la ville de Nantes », un très long chant. Celui-là, on l’a d’abord appris comme ça pour avoir un peu le contenu et la mélodie. Et après, on l’a dansé en chantant. C’était gai. En plus, on savait que c’était un chant breton traditionnel que les gens chantaient quand ils travaillaient à la construction de leur maison, qu’ils tapaient des pieds dans la terre. On comprenait alors pourquoi ce chant était très long et que la façon de danser était très tapotée, du surplace presque, mais on savait qu’il y avait une raison. Ça nous replongeait aussi dans une histoire.
Marie-Louise Maes : Mon préféré, préféré, préféré, on ne le chante pas beaucoup. Ça s’appelle « Soir ». C’est dans le chansonnier « Vacances ». C’est un chouette chant, très court. J’aime aussi, un des rares chants pour enfants, un vrai chant : « Catherine, ma voisine ». C’est vraiment joli. Avec ce chant-là, j’ai un très bon souvenir dans une de mes classes de 1re année où, à un moment donné, je ne sais pas ce que mes élèves faisaient, mais ils avaient tous la tête penchée sur leur feuille. Tout d’un coup, il y a une petite voix qui s’élève et qui chantonne d’une voix vraiment aiguë. Et on entend en sourdine : « Catherine, ma voisine... ». Et je vois des yeux qui se lèvent et qui me regardent l’air de dire : « Ouille ouille ! ». J’ai souri à ceux qui me regardaient et je n’ai rien dit. Et, l’autre, il a terminé son petit chant bien à son aise, sans lever le nez de son cahier. C’était un beau moment !